Consensus clinique du diagnostic et du traitement du syndrome des loges chronique : étude Delphi

May 18 / MÉDIAMPHI - ⏱️ 11 min

Introduction

Le syndrome des loges chronique est une pathologie de surutilisation qui se produit dans les compartiments myofasciaux des membres inférieurs ou supérieurs chez des personnes actives. Il se manifeste lors de la répétition d’un geste sportif et est décrit comme une douleur musculaire induite par l’effort, provoquant une sensation de pression ou de serrage qui diminue après que l’activité ait cessé. Ces symptômes sont le résultat d’une augmentation de la pression intra-compartimentale (ICP) due à un déséquilibre entre l’expansion du tissu musculaire et la non-compliance des fascias qui l’entourent. Le syndrome des loges chronique est le plus souvent rencontré dans le compartiment antérieur de la jambe.
Avis du pôle scientifique Médiamphi
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Cette étude Delphi aboutissant à un consensus d’experts est un article à risque de biais modéré. En effet, la composition du panel d’experts ne s’est pas faite aléatoirement mais par le biais des réseaux professionnels des co-auteurs ne garantissant pas une diversité de pensées et d’opinions adéquate. De plus, la revue de la littérature sur laquelle se base les questionnaires et donc le consensus n’a pas pris en compte la qualité méthodologique des articles scientifiques. Par conséquent, les recommandations proposées par ce consensus sont en prendre avec précaution sous forme d’hypothèses car elles ne sont pas fondées sur des faits scientifiques uniquement de bonne qualité.
Le diagnostic de ce syndrome comprend l’histoire du patient et la palpation des muscles douloureux, idéalement immédiatement après l’apparition des symptômes. En pratique clinique, l’utilisation d’aiguilles ou de cathéters manométriques pour mesurer l’ICP pourrait aider au diagnostic mais les valeurs de ces tests ne sont pas encore fiables à cause de l’absence de protocoles standardisés. De plus, cette mesure invasive de l’ICP pourrait entraîner des risques d’hématome ou d’atteinte nerveuse si le placement de l’aiguille n’est pas bon. Les méthodes diagnostiques alternatives telles que la radiographie ou l’IRM, qui servent à éliminer tout autre diagnostic, n’ont pas encore fait leurs preuves dans le dépistage du syndrome des loges chronique.

L’évolution spontanée de cette pathologie a tendance à causer des douleurs persistantes à long terme. Le traitement commence généralement par des mesures conservatrices, avec réentrainement à la marche et à la course et des injections de toxine botulique. En cas d’échec de ce traitement, le traitement chirurgical est envisagé. La chirurgie consiste en une fasciotomie (ouverture du fascia enveloppant le muscle concerné) par des techniques mini-invasives et peut aller jusqu’à la fasciectomie (ablation partielle du fascia) chez les militaires ou les cas récurrents. En revanche, il n’existe à ce jour pas de recommandations cliniques ou d’algorithme de traitement clair. De plus, les essais contrôlés randomisés sur ce syndrome sont rares et sont généralement à un niveau de preuve limité.

L’objectif de cette étude Delphi est d’établir un consensus sur les possibilités cliniques de diagnostic et de traitement du syndrome des loges chronique dans une population comprenant des civils et des militaires.

Méthode

Les avis d’un groupe international d’experts ont été recueillis entre Mai 2020 et Juillet 2021 selon la méthode Delphi. Leurs opinions concernaient le diagnostic et la prise en charge du syndrome des loges chronique de la jambe chez des civils actifs et chez des militaires. Une plateforme surveillée a été utilisée pour envoyer des liens individuels à chaque participant. L’anonymat était toujours garanti. Le consensus a été fixé en amont par un taux de réponse >70% du panel et un positionnement (positif ou négatif) >70% pour une question posée.

Le panel était composé de médecins du sports, chirurgiens, kinésithérapeutes et cliniciens, tous spécialisés dans le traitement des patients avec syndrome des loges chroniques. Tous les participants ont dû confirmer leur expertise en expliquant leur diagnostic et leur prise en charge des patients atteints du syndrome des loges ainsi qu’en faisant une estimation du nombre de mesures annuelles d’ICP et/ou de chirurgie qu’ils pratiquaient.

La recherche d’articles a été faite sur PubMed, EMBASE, Web of Science, Cochrane, CENTRAL et Emcare et a inclut des études allant du 1er Janvier 1970 au 1er Mai 2020. Les articles devaient définir, décrire et contenir des informations cliniques sur le syndrome des loges chronique de la jambe. Plus précisément, ils devaient contenir : historique du patient, examen physique et tests cliniques, indications, diagnostic et traitement. Après une revue de toutes les publications, un questionnaire structuré pour l’étude Delphi a été mis en place par un facilitateur et un membre du groupe d’expert. Le questionnaire a été évalué indépendamment par l’ensemble du groupe d’experts afin de développer la liste finale de questions.
Le questionnaire ainsi que l’analyse des données se sont déroulés en 3 étapes :
  • Premier tour - le questionnaire comprenait 28 questions à choix multiples utilisant l’échelle de 5 points de Likert (fortement d’accord, d’accord, sans avis, pas d’accord, fortement en désaccord). Les questions comprenant des réponses textuelles étaient accompagnées d’une zone de texte ouverte. Les affirmations n’ayant pas obtenu un accord des experts >70% ont été modifiées en fonction des commentaires reçus puis redistribuées aux participants dans le deuxième questionnaire.
  • Deuxième tour - le questionnaire comprenait 22 questions à choix multiples et avait pour objectif d’apporter des précisions au premier questionnaire. Les membres du groupe d’experts ont été informés des scores et des commentaires obtenus au premier tour afin de réfléchir aux résultats et d’ajuster leurs réponses. L’anonymat a été préservé. Les questions n’ayant pas fait consensus ont été conservée et redistribué au troisième tour.
  • Troisième tour - le questionnaire final comportait 11 questions dans lesquels les experts ont dû revoir leurs réponses précédentes et expliquer pourquoi ils n’étaient pas parvenus à un consensus. Les participants n’ayant pas répondu aux tours 1 et 2 ont été exclus. 

Résultats

Le consensus international Delphi a été exécuté par un total de 27 experts en santé civils et militaires. Tous ont participé au premier tour mais seulement 24 d’entre eux ont terminés les tours 2 et 3. 89% des membres du groupes étaient professionnels de santé dans le civil et 67% étaient basés en Europe.

 Diagnostic du syndrome des loges chronique

La douleur (93%) et la tension / sensation de serrage (89%) à l’exercice ont été déterminés comme point essentiels de l’histoire du patient, tout comme la localisation des symptômes (100%), la modification à l’activité (81%) et le type d’activité déclenchant la douleur (74%). Ce dernier point a été précisé lors du questionnaire 2 par « implication dans des sports ou activités entrainant une activation répétitive des mêmes muscles », ce qui a été validé par tous les experts (100%). Les crampes, faiblesses, paresthésies pendant l’effort ou encore la durée des symptômes n’ont pas été déterminés comme pertinents pour le diagnostic. Aucun signe de l’examen physique, tels que la sensibilité à la palpation ou la présence d’une hernie musculaire, n’a été considéré comme essentiel au diagnostic. Le panel n’est pas non plus parvenu à un consensus sur l’utilisation d’un système de notation des symptômes (échelle visuelle analogique échelle d’évaluation numérique) en l’absence d’un système de notation standardisé.

Les experts étaient d’accord à 82% sur l’utilisation de la mesure de l’ICP dans le diagnostic du syndrome des loges. Une partie d’entre eux a indiqué que cette mesure devait être mise en corrélation avec les signes et symptômes cliniques, d’autres ont indiqué que cette mesure servait à différencier les étiologies pathologiques responsables de douleurs ou encore qu’elle permettait d’établir l’indication d’un traitement chirurgical. Il a été convenu que la valeur de l’ICP la plus significative était celle obtenue 1 minute après un exercice provocateur. La mesure doit être faite dans les deux jambes et par une approche médiane lorsque l’investigation se fait dans la loge postérieure profonde de la jambe. En revanche, les experts n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur le positionnement de la jambe du patient, même après les 3 tours de questionnaire. La position de mesure favorite était celle en décubitus dorsal, mais 3 raisons ont été données pour préférer la position debout : la position couchée diminuerait l’ICP en contrant l’effet de la gravité, la position debout est similaire à celle provoquant les symptômes et les critères diagnostics locaux ont été développés en position debout. Enfin, le dernier aspect n’ayant pas fait consensus est la valeur limite de l’ICP ; une partie du panel d’experts suivait les critères de Pedowitz, en totalité ou en partie, d’autres utilisaient des valeurs seuils établis localement.

En plus de ces critères, le groupe a considéré la « provocation des symptômes par un test sur tapis roulant et par un examen physique répété » comme un test conditionnel pour le diagnostic (78%). Enfin, la majorité des experts n’ont pas préconisé l’utilisation d’examens complémentaires tels que la radiographie ou l’IRM.
Au final, 5 critères ont été déterminés comme essentiels au diagnostic au diagnostic du syndrome des loges chronique :
  • Implication dans des sports ou activités entrainant une activation répétitive des mêmes muscles
  • Apparition de la douleur pendant l’exercice
  • Sensation de raideur, serrage pendant l’exercice
  • Arrêt prématuré ou évitement de certaines activités à cause de la douleur
  • Les signes et symptômes peuvent être déclenchés par des activités provocantes ou répétitives pendant l’examen physique

 Prise en charge du syndrome des loges chronique

La rééducation à la marche et l’arrêt des activités provocant la douleur ont été déterminés comme éléments essentiels du traitement conservateur. En revanche, le traitement par kinésithérapie, la modification des chaussures ou les injections de toxine botulique n’ont pas fait consensus.

Concernant la chirurgie, un consensus a été atteint sur la fasciotomie mini-invasive du compartiment antérieur de la jambe avec une incision cutanée longitudinale à 1-2 cm à l’extérieur de la crête tibiale et aux deux tiers distaux de la jambe. Pour le compartiment latéral de la jambe, il a été convenu qu’une fasciotomie peut être réalisée de façon sûre et efficace par deux incisons de 5 à 8 cm entre la tête de la fibula et la malléole externe. Si les deux compartiments doivent être ouverts, 83% des experts ont reconnu que cela pouvait être fait par une seule incision de 4 à 6 cm au niveau du septum intramusculaire entre le compartiment antérieur et latéral. Un consensus a aussi été trouvé sur le compartiment postérieur profond, qui doit être abordé médialement par une grande incision après ouverture du compartiment postérieur superficiel. En revanche, la localisation du nerf fibulaire superficiel pendant l’ouverture du compartiment antérieur n’a pas mis tous les experts d’accord, tout comme l’échographie qui n’a pas été considérée comme un outil efficace pour la visualisation de ce nerf. Enfin, aucun consensus n’a été trouvé concernant les instruments à utiliser pendant l’opération.

Pour la rééducation post-opératoire, un accord a été atteint par 88% des experts sur la nécessité d’un protocole de réhabilitation standardisé mais pas nécessairement ajusté au compartiment ayant subi la fasciotomie. Cependant, les membres du panel n’ont pas pu se mettre d’accord sur les restrictions que devraient contenir ce protocole (port de charge autorisé ou non, participation à des activités sportives pendant les deux premières semaines, …).

 Résultats du traitement 

Le groupe d’expert a convenu qu’il était préférable de standardiser les mesures des résultats du traitement, en les monitorant par les paramètres suivants :
  • Retour au niveau de sport antérieur
  • Niveau d’activité inférieur, similaire ou supérieur
  • Échelle de l’effet global perçu

 Récurrence du syndrome des loges

Aucun consensus n’a été atteint concernant la récurrence de la maladie ou les symptômes résiduels après traitement chirurgical. Les experts ont envisagé les actions suivantes : traitement conservateur, nouvelle fasciotomie, aponévrotomie. Pour chaque action les réponses variaient entre les compartiment antérieur, latéral et postérieur profond et ces variations étaient comparables entre les membres du panel qui étaient chirurgiens et ceux qui ne l’étaient pas. 

Discussion

Le diagnostic et la prise en charge actuelle des patients atteints de syndrome des loges chroniques se font en l’absence de recommandations et de protocoles standardisés. L’étude actuelle est donc une première tentative pour élaborer des lignes directrices simples, basées sur la connaissance d’experts internationaux. Cette analyse Delphi en trois tours a permis d’établir un consensus sur plusieurs aspects du diagnostic et du traitement du syndrome des loges chronique de la jambe. Le groupe d’expert a pu définir 5 critères clés sur les signes cliniques et les symptômes. Les chirurgiens du groupe ont tous été d’accord sur la taille et la localisation des incisions pour les fasciotomie. En revanche, aucun consensus n’a été trouvé sur le rôle et la réalisation des mesures de l’ICP ni sur les protocoles de rééducation post-opératoire, bien que les experts s’accordent pour dire qu’il faut qu’ils soient standardisés.

Le résultat le plus marquant de cette étude est le consensus atteint sur les cinq critères clés caractérisant le syndrome des loges. Les membres du panel ont convenu que le diagnostic de syndrome des loges chronique était probable si le patient participe à des activités nécessitant une activation répétitive des mêmes muscles, signale une douleur pendant l’exercice, signale une tension ou raideur pendant l’exercice, cesse ou évite prématurément des activités spécifiques, et peut déclencher ses symptômes en effectuant des activités provocatives lors de l’examen physique. Les experts ont considéré que les autres signes précédemment décrits dans la littérature, tels que la rigidité musculaire après l’effort, la sensibilité à la palpation ou encore la présence d’une hernie fasciale, n’étaient pas essentiels au diagnostic. L’évaluation future des critères clés proposés dans cette étude pourrait contribuer au développement d’un outil de dépistage efficace pour la pratique clinique quotidienne.

Concernant le rôle et les mesures de l’ICP, les membres du groupe ne sont pas parvenus à un consensus. Cela pourrait être le reflet du débat actuel dans lequel les valeurs limites et les protocoles de tests sont constamment remis en question, tout comme le positionnement du patient lors de la prise de ces mesures.
Les experts se sont tout de même accordés sur le moment à privilégier pour la prise de mesure de l’ICP (1 min après la fin d’un exercice de provocation), sur le nombre de compartiment à tester (de façon unilatérale ou bilatérale en fonction des symptômes) ainsi que sur la voie d’abord du cathéter pour le test sur le compartiment postérieur profond (abord médial). Malgré cela, l’absence de consensus sur les valeurs clés de l’ICP est préoccupant. Une partie des membres du panel ont suggéré que ces données devraient être considérées seulement comme complémentaire suite à l’anamnèse du patient. Si de nouveaux tests non-invasifs venaient à voir le jour, la mesure de l’ICP deviendrait obsolète.

Enfin, le protocole de rééducation postopératoire et le traitement de l’atteinte chronique du syndrome des loges doivent faire l’objet de nouvelles recherches car ils présentent encore de trop nombreuses variations. En postopératoire, les chirurgiens encouragent une mobilisation précoce afin de réduire la formation de tissus cicatriciels mais certains le recommandent à J+1 alors que d’autres la commencent à J+7. De plus, l’utilisation d’antalgiques n’est pas prescrite de façon uniforme dans les études. Ce manque de consensus a été confirmé lors de cette étude dans laquelle les experts ne se sont pas mis d’accord sur la mise en charge précoce ou la participation sportive après chirurgie, ainsi que sur le traitement le plus approprié dans le cas de symptômes résiduels ou chroniques. La diversité des recommandations dans les études actuelles, associée à l’absence de consensus obtenue dans cette étude, indique que les recherches futures devraient se concentrer sur les protocoles de réhabilitation postopératoire.

 Limitations

Bien qu’elle apporte un aperçu complet des opinions actuelles concernant le syndrome des loges chronique, cette étude présente quelques limitations. Premièrement, la sélection des membres du groupe d’experts dépendait du réseau scientifique et du jugement subjectif des autres auteurs. Deuxièmement, les résultats doivent être confirmés par des recherches futures car même si cette méthode d’analyse permet d’obtenir des preuves de haute qualité, elles restent basées sur des opinions d’experts et non sur des analyses scientifiques. Enfin, le seuil de consensus de 70% fait débat car il n’est pas fixé par une justification scientifique.

Conclusion

Un groupe international d’experts multidisciplinaires est parvenu à un consensus sur 5 critères clés du diagnostic du syndrome des loges chronique. En revanche, le groupe n’a pas trouvé d’accord sur les directives de rééducation postopératoire ni sur le traitement à privilégier en cas de symptômes chroniques ou résiduels. Les experts sont parvenus à un accord partiel sur les mesures de la pression intra-compartimentale ainsi que sur le traitement conservateur et chirurgical du syndrome des loges

Référence article

Vogels S, Ritchie ED, van der Burg BLSB, Scheltinga MRM, Zimmermann WO, Hoencamp R. Clinical Consensus on Diagnosis and Treatment of Patients with Chronic Exertional Compartment Syndrome of the Leg: A Delphi Analysis. Sports Med. 2022 Dec;52(12):3055-3064. doi: 10.1007/s40279-022-01729-5. Epub 2022 Jul 29. PMID: 35904751; PMCID: PMC9691483.