Effets de l’association protéines-glucides versus glucides seuls sur les marqueurs immunitaires de l’inflammation chez les athlètes d’endurance : un essai contrôlé randomisé

Oct 5 / MÉDIAMPHI - ⏱️ 8min

Introduction

L’effet immunosuppressif des entrainements intenses et répétés est encore largement débattu. Le système immunitaire répond de façon aiguë aux exercices lourds en augmentant le taux de neutrophiles, lymphocytes et monocytes circulants ; ces taux s’élèvent pendant l’exercice puis diminuent 10-15minutes après la fin de l’exercice pour les lymphocytes alors qu’ils restent élevés pour les neutrophiles. Par conséquent, l’augmentation du ratio neutrophiles-lymphocytes (NLR ; neutrophil-to-lymphocyte ratio) est associée à une inflammation transitoire après un entrainement intense en endurance. Néanmoins, ces changements adaptatifs à long terme des cellules immunitaires ont récemment été proposés comme un indicateur de la fluctuation des performances et de l’augmentation du risque d’infection. Le suivi du NLR est utilisé comme un indicateur du stress induit par l’exercice et pourrait être utile pour adapter le volume d’entrainement afin d’éviter le risque de surentrainement. En plus de l’élévation des leucocytes, l’augmentation du taux de plaquettes est aussi associée à l’inflammation transitoire post-exercice. Le ratio plaquettes-lymphocytes (PLR ; platelets-to-lymphocytes ratio) émerge donc comme un nouveau suivi de l’inflammation. Walzik et al ont récemment proposé l’indice d’inflammation immunitaire systémique (SII), qui associe le NLR et le PLR, comme marqueur de l’inflammation induite par l’exercice.
Avis du pôle scientifique Médiamphi
Pastille verte
Cet essai clinique randomisé en double-aveugle est un article à faible risque de biais, tous les critères méthodologiques majeurs sont respectés permettant de limiter et contrôler au mieux les biais dans leur étude.
Chez des individus sains, l’augmentation du NLR et du PLR est observée pendant des périodes d’entrainement intense. Néanmoins, avec la progression de l’entrainement et des performances, ces ratios diminuent, que ce soit chez des individus actifs ou chez des athlètes d’endurance. La diminution du SII devrait donc refléter une immunocompétence plus forte résultant d’une adaptation appropriée à l’entrainement à long terme chez les athlètes.

La disponibilité des nutriments permet de maintenir un système immunitaire fonctionnel, et différentes stratégies nutritionnelles pour favoriser une réponse adéquate à l’entrainement en endurance ont été proposées. Par exemple, ingérer 0,8 à 1,2 g/h de glucides pendant les premières 3 à 5 heures post-exercice permet de maintenir une glycémie stable et une bonne immunité chez les athlètes. De plus, un déficit en protéines peut impacter la fonction immunitaire et prédisposer les athlètes aux infections dû à la production excessive de cytokines et d’immunoglobulines, et un apport adéquat en acide aminé est donc indispensable. Cependant, il existe une controverse sur l’utilité de prendre des mélanges comprenant glucides et protéines ou uniquement des glucides pour favoriser l’adaptation immunitaire post-exercice chez les athlètes d’endurance. La plupart des études antérieures se sont concentrer uniquement sur l’apport en glucides et, à la connaissance des auteurs, aucune étude n’a fait de recherches sur les différentes stratégies nutritionnelles post-entrainement. L’objectif de cette étude est donc de comparer l’efficacité de la prise d’un complément à base de glucides et de protéines et d’un complément seulement composé de glucides chez des coureurs d’endurance lors d’un programme d’entrainement de 10 semaines. L’hypothèse est que l’ingestion du supplément glucides-protéines post-entrainement favorisera un meilleur état immunitaire que l’ingestion de glucides uniquement.

Méthode

Cette étude est un essai randomisé, en double aveugle, contrôlé par des groupes en parallèle. Les participants ont été répartis au hasard en deux groupes de traitement : protéines-glucides (PRO-CHO ; n=15) ou glucides (CHO ; n=15). Les résultats primaires étaient les marqueurs de l’inflammation cellulaire (NLR, PLR et SII). Le nombre de leucocytes, neutrophiles, lymphocytes et plaquettes a été considéré comme un résultat secondaire. Le pic d’absorption de l’oxygène et les autres globules blancs ont été décrits comme des variables exploratoires. Tous les tests ont été réalisés au départ de l’étude et au cours du suivi. 

 Participants

Les trente athlètes d’endurance s’entrainaient sous la supervision du même entraineur. Les critères d’inclusions étaient avoir entre 18 et 45 ans, s’entrainer 6 à 10 heures par semaine depuis au moins 5 ans et ne présenter aucun problème orthopédique et/ou de tissus mous. Les critères d'exclusion comprenaient les antécédents de maladies métaboliques, la consommation de tout médicament et/ou de suppléments nutritifs affectant la performance et la composition corporelle au cours des 8 semaines précédant le début de l'étude, et l'utilisation actuelle de produits du tabac. L’endurance de tous les participants a été évaluée avant l’intervention et les athlètes ont été appariés en fonction de leur VO2max, de la vitesse associée au premier (VT1) et au deuxième (VT2) seuil ventilatoire, ainsi que de l’apport quotidien en protéines (g/kgBW ; gramme / kilo de poids de corps). 

 Suivi nutritionnel 

Un nutritionniste qualifié a recueilli les informations sur les habitudes alimentaires des participants afin de déterminer leur apport en macronutriment ainsi que leur disponibilité énergétique. Les participants ont été invités à maintenir leur régime alimentaire habituel tout au long du protocole. Leur régime alimentaire a de nouveau été analysé lors de la dernière semaine d’intervention afin de vérifier qu’il n’y avait pas eu de changement.  

 Mesures

Des prélèvements sanguins ont été réalisés avant et après les 10 semaines d’intervention avec un minimum de 72 heures depuis la dernière séance d’entrainement en endurance. Ils ont permis d’identifier les marqueurs de l’inflammation cellulaire. Tous les participants ont aussi réalisé un test sur tapis de course jusqu’à épuisement, après un échauffement standardisé, afin de déterminer leur VT1, VT2 et VO2max, et d’identifier trois zones d’entrainement (Zone 1 = <VT1 ; Zone 2 = entre VT1 et VT2 ; Zone 3 = >VT2). Ainsi, les participants ont réparti leur charge d’entrainement entre les 3 zones : 43% dans la zone 1, 7% dans la zone 2 et 50% dans la zone 3. Le programme d'entraînement a été conçu sur la base du modèle de quantification de la charge d'entraînement de l'Objective Load Scale.

 Entrainement lors de l’intervention 

Les athlètes ont suivi une période d'intervention de 10 semaines comprenant cinq ou six séances d'entraînement par semaine d'une durée moyenne de 44,8 ± 4,5 minutes par séance. Les participants devaient remplir un journal d'entraînement avec toutes les séances d'entraînement réalisées, y compris l'enregistrement de la FC moyenne, du mode d'entraînement, de la durée et de la distance parcourue. Le suivi continu de la charge d'entraînement a été effectué à l'aide de deux méthodes : Strava et des entretiens en face à face après chaque séance avec l’entraineur. Les ajustements de l'intensité de l'entraînement ont été déterminés grâce aux données enregistrées de la FC. Pour éviter les effets des rythmes circadiens sur la performance, tous les participants ont effectué leur entraînement entre 16 et 19 heures.

 Complément alimentaire et contrôle de l’intervention 

Les deux compléments étudiés se présentaient sous la forme de sachets de 24 g de poudre (bœuf et whey) aromatisée à la vanille diluée dans 250 ml de jus d'orange. Les deux boissons étaient isoénergétiques (204 kcal par portion), d'apparence, de texture et de goût similaires. Les suppléments ont été ingérés, soit immédiatement après l'entraînement, soit avant le petit-déjeuner sur les jours de repos pour une cohérence basée sur des recherches antérieures. La tolérance, recueillie à partir de tout événement indésirable, et l'observance de la prise de supplément ont été évaluées en continu pendant toute la période d'intervention de 10 semaines. Seuls les participants ayant déclaré avoir ingéré 70 doses quotidiennes de supplémentation avec une fréquence d'entraînement minimale de 4 séances par semaine ont été inclus dans l'analyse.

Résultats

25 athlètes de cross-country ont complété l’étude. Les données anthropométriques de chaque groupe ainsi que leurs apports nutritionnels habituels ont été analysés et il n’y avait pas de différences significatives entre les groupes avant l’intervention. Lors de l’intervention, l’apport énergétique des groupes n’a pas changé, mais les participants ont augmenté la proportion d’énergie provenant des glucides et ont diminué la proportion d’énergie provenant des lipides. Le groupe PRO-CHO a en plus augmenté l’énergie provenant des protéines. Aucune plainte sur un inconfort intestinal ou des symptômes négatifs dus à la prise des compléments n’a été enregistrée.

Aucune différence significative n’a été trouvée entre les groupes concernant l’intensité et le volume d’entrainement. L’effet principal de l’intervention a été trouvé sur les cellules de l’inflammation immunitaire, le NLR, le PLR et le SII. L’analyse statistique a révélé une augmentation post-intervention significative de ces différents facteurs uniquement dans le groupe CHO.
Changements pré et post-intervention sur les marqueurs de l’inflammation immunitaire

Discussion

Cette étude a montré que l’ingestion post-exercice de 24g de protéines (bœuf et whey) mélangé à un jus d’orange pendant 10 semaines favorisait un statut immunitaire supérieur comparé à l’ingestion de glucides seuls chez les athlètes d’endurance. En revanche, aucune différence significative n’a été trouvée entre les groupes sur la charge d’entrainement et les tests de performance (VO2max). Ces résultats semblent importants pour des coureurs soumis à une haute charge d’entrainement, qui sont plus exposés au risque d’infection des voies respiratoires supérieurs à cause de la forte demande qu’ils exercent sur leur système immunitaire.
L’analyse nutritionnel des groupes a révélé que les participants ingéraient en moyenne 4 g/kgBW de glucides, ce qui est inférieur aux recommandations actuelles pour des sportifs d’endurance. Néanmoins, cela ne semblait pas avoir d’impact négatif sur les performances, indépendamment du groupe. Il est possible que ce faible apport glucidique ait été compensé par un apport en protéine plus élevé (1,7 à 2 g/kgBW dans les groupes contre 1,65 g/kgBW dans les recommandations).

Le NLR reflète l’activité du système nerveux et de l’immunité, avec des valeurs plus élevées étant associées à une diminution des performances chez les athlètes d’endurance. Il semble donc être un biomarqueur utile pour suivre le stress induit par l’exercice et le risque de surentrainement. Dans cette étude, le niveau basal de leucocytes et de neutrophiles a été augmenté dans le groupe CHO. De plus, l’absence de changement dans le taux de lymphocytes ainsi que l’augmentation des plaquettes peut expliquer l’augmentation des marqueurs inflammatoires. Le marqueur le plus influencé par la prise de supplément était le SII, avec des taux élevés post-intervention comparé à pré-intervention, uniquement dans le groupe CHO. Il est important de noter que le SII intègre à la fois le NLR et le PLR et semble donc être un marqueur robuste pour interpréter les résultats. Tous ces changements n’ont pas été observés dans le groupe PRO-CHO.

Nos résultats contrastent avec les précédentes études qui soutiennent l’effet protecteur aigu de la prise de glucides pour diminuer les dysfonctions immunitaires post-exercice. En analysant l’adaptation à moyen et long terme, nos résultats montrent que la prise régulière d’un mélange protéines-glucides semble promouvoir un état immunitaire favorable chez les athlètes d’endurance en période d’entrainement. Cela diffère des précédentes études qui analysaient les effets aigue de la supplémentation, effets qui sont généralement surpassé au bout de quelques heures de repos et de nutrition appropriée. Nos résultats soutiennent l'idée que l'ingestion de protéines de haute qualité, provenant de sources de whey et de bœuf, combinée à de la maltodextrine dans un seul apport post-entraînement peut être une stratégie nutritionnelle appropriée de protection immunitaire pour les athlètes d'endurance. L'ajout de protéines à des glucides exerce une fonction immunitaire par le biais des voies de régulation redox, ce qui semble particulièrement important chez les sportifs engagés dans des entrainements intensifs et réguliers.

Les études futures devraient accorder une attention particulière à l'impact de la nutrition sur la modulation des niveaux de base des trois variables analysées. Après avoir établi les valeurs de référence en fonction de l’âge, du sexe, ou encore du niveau d’entrainement, les modifications de ces valeurs pourraient être utilisées pour améliorer les stratégies de périodisation, où des scores plus bas pourraient indiquer de meilleures performances tandis que des valeurs plus élevées pourraient indiquer un risque de syndrome de surentraînement, des résultats de performance plus faibles et un risque d'infection plus élevé chez les athlètes.

Conclusion

Les résultats actuels soutiennent l'ingestion d'une formule post-entraînement contenant des protéines de bœuf et de la whey mélangées à du jus d'orange par rapport à une supplémentation en glucides uniquement, afin de promouvoir une compétence immunitaire plus favorable pouvant atténuer l'inflammation immunitaire cellulaire chez les athlètes d'endurance masculins.