Effets de la nutrition sur la santé du tendon et sur la tendinopathie : revue systématique

Aug 17 / MÉDIAMPHI - ⏱️ 8 min

Introduction

La tendinopathie, qui implique une douleur tendineuse persistante et une perte de fonction liée à une charge mécanique, est fréquente chez les athlètes et dans la population générale. La surcharge mécanique est vue comme le facteur principal d’apparition de la douleur. On retrouve donc la tendinopathie dans les sports qui impliquent des forces élevées et des mouvements répétitifs (course à pied, tennis, …) mais aussi chez les travailleurs effectuant des tâches monotones et répétées. D’autres facteurs de risques intrinsèques tels que l’âge, le sexe et la génétique ont aussi été identifiés chez les sujets atteints de tendinopathie. De nombreux traitements ont été décrits mais la prise en charge de cette pathologie reste un processus long et complexe, ce qui met en avant l’intérêt de la prévention, même si les preuves de l’efficacité des programmes préventifs sont encore très limitées.
Avis du Pôle Scientifique Médiamphi
Pastille verte
Cette revue systématique est un article à faible risque de biais qui respecte les principaux critères méthodologiques.
Le tendon pathologique est caractérisé par une perturbation de l’homéostasie. Sachant que la nutrition joue un rôle majeur dans l’homéostasie et qu’un faible apport nutritionnel est un facteur de risque extrinsèque de tendinopathie, les interventions nutritionnelles (comme la prise de collagène) pourraient être une stratégie efficace pour améliorer la santé tendineuse. Un apport approprié de macro et micronutriments est essentiel, particulièrement dans les populations avec des besoins spécifiques comme les athlètes. Cela implique un régime alimentaire sain et varié ainsi que des stratégies spécifiques au sport comme la prise de compléments alimentaires. Ces derniers sont définis comme un aliment, un composant alimentaire, un nutriment ou encore un composant non-alimentaire qui est ingéré en complément de l’alimentation dans l’objectif d’améliorer ses performances et/ou d’avoir un effet bénéfique sur sa santé.

Cependant, il existe un manque de recommandations sur les stratégies nutritionnelles à utiliser dans le traitement et la prévention des tendinopathies, que ce soit sur les habitudes alimentaires à adopter ou sur la prise de compléments. Les recherches récentes semblent montrer que la prise simultanée de plusieurs nutriments, notamment le collagène et la vitamine C, est plus efficace dans l’augmentation de la synthèse de collagène que la prise d’un seul nutriment, mais jusqu’à présent seuls les effets des vitamines et des acides aminés sur la guérison du tendon ont été investigués. Il n’existe pas d’étude ayant synthétisé l’impact de la nutrition sur le risque de tendinopathie ou sur les mesures cliniques physiques, psychosociales et/ou sur les mesures de qualité de vie. L’objectif de cette revue systématique sera donc de faire cette synthèse dans une population générale afin de guider les futures recherches et d’entrainer une diminution de la prévalence des tendinopathies, ainsi qu’une meilleure prise en charge de cette pathologie.

Méthode

La recherche a été faite sur les bases de données PubMed, EMBASE, Web of Science et SportDiscus en juin 2022. Une recherche spécifique a été créée sur les trois centres d’intérêt de l’étude : Nutrition, Tendon et Humain. Les études étaient éligibles si elles étudiaient, dans une population d’adultes, l’impact de l’apport en nutriments (soit dans le cadre d’un régime alimentaire habituel, soit par la prise de compléments alimentaires) sur la prévalence/incidence de la tendinopathie, sur les changements structurels tendineux identifiés à l’imagerie ou sur l’un des domaines fondamentaux lié à la tendinopathie tels qu’établis par le groupe ICON (tableau 1). Le risque de biais des études a été évalué indépendamment par deux examinateurs sur différents composants (biais sur les mesures ou les résultats, données manquantes, sélection des participants etc.) et le niveau global de certitude des preuves concernant les résultats cliniques et la prévalence de la tendinopathie a été évalué par l’outils GRADE. 

Résultats

19 articles ont rempli les critères d’inclusion et ont été retenus pour cette revue systématique. 5 études ont investigué l’effet du régime alimentaire habituel (2 cohortes prospectives, 2 études transversales et 1 cas-contrôle) et 14 études les effets des compléments alimentaires combinés à des changements d’habitudes alimentaires (9 essais contrôlés randomisés, 2 essais contrôlés non-randomisés, une étude de cas et une série de cas rétrospectifs). Même si tous les types de populations ont été inclus, la plupart des études étaient sur une population non-athlétique d’âge moyen (40 – 60 ans) ou plus âgés (> 60 ans), avec une proportion à peu près similaire d’hommes et de femmes.

Les tendons les plus étudiés étaient ceux de la coiffe des rotateurs (9 études), le tendon d’Achille (7 études), le tendon patellaire (4 études), les épicondyliens (2 études) et le tendon du biceps brachial (1 étude). Les effets de la nutrition sur des tendons sains ont été étudiés dans 2 études alors que les autres ont se sont concentrées sur des participants avec des antécédents de tendinopathie, qui sont des sujets à risque plus élevé de présenter un deuxième épisode de tendinopathie. Pour étudier l’impact de la nutrition, des questionnaires ont été utilisés pour connaitre les habitudes alimentaires de participants et leur type d’alimentation (régime occidental / régime méditerranéen). 4 études ont aussi examiné les effets de l’alcool sur les tendons. Enfin, la majorité des études se sont concentrés sur les compléments alimentaires, en particulier le collagène, la vitamine C, le méthyl-sulfonyle-méthane, l’arginine-L-alpha-ketoglutarate, les mucopolysaccharides, la bromélaïne et les acides gras essentiels.

Les résultats cliniques rapportés dans les études portaient sur la douleur dans la majorité des cas, mais aussi sur l’incapacité, la capacité physique, l’amplitude articulaire, la force ou encore sur une combinaison de ces différentes mesures. Des questionnaires tels que le VISA-A (Victorian Institut of Sport Assessment for the Achilles) ont été utilisés pour mesurer la qualité de vie, la perception globale de l’amélioration par le patient ainsi que pour quantifier l’activité physique.

Discussion

Dans l’ensemble, les données de haute qualité de preuves disponibles n’étaient pas suffisantes pour permettre des méta-analyses en raison d’importantes variations dans la conception des études ainsi que sur l’exposition nutritionnelle, les mesures de résultats et le risque de biais

 Régime alimentaire habituel 

Une seule étude a investigué le lien entre la consommation habituelle de certains aliments et les effets sur le tendon. Cette étude n’a pas trouvé d’association entre nutrition et épaisseur du tendon d’Achille mais aucun autre résultat clinique n’a été évalué. Compte tenu du risque de biais important, il n’est pas possible de tirer de conclusions définitives.

 Alcool

Sur les 4 articles étudiant les effets de l’alcool sur les tendons, différents effets ont été trouvés ; une consommation modérée d’alcool (7 à 13 verres / semaine pour les hommes et 4 à 6 pour les femmes) était associée à un risque léger de tendinopathie d’Achille mais pas de tendinopathie patellaire, une consommation élevée (>13 verres pour les hommes et >6 verres pour les femmes) était associée à une augmentation significative du risque d’apparition et de la gravité des ruptures de la coiffe des rotateurs. En revanche, Jain et al ont constaté une association positive entre la consommation d’alcool et une douleur diminuée à l’épaule ainsi qu’une meilleure fonction après réparation chirurgicale de la coiffe des rotateurs. Cependant, plusieurs variables n’ont pas été prises en compte dans cette étude, et les différences de conception d’étude, de population ou encore de classification limitent la comparabilité entre tous les articles. Malgré ces résultats contradictoires, il existe des preuves que l’alcool peut inhiber la synthèse du collagène par le biais d’effets toxiques, ce qui serait délétère pour les tendons

 Collagène

La majorité des compléments (en particulier le collagène hydrolysé et la gélatine) ont permis d’améliorer les résultats cliniques et/ou structurels dans le traitement de la tendinopathie. Les études ont montré des effets à court terme, les effets à long terme sur la douleur n’ayant été observés que dans les recherches qui ont augmenté la posologie et la durée du traitement. En revanche, deux études sur la récupération après réparation chirurgicale de la coiffe des rotateurs n’ont pas montré d’amélioration de la capacité physique fonctionnelle avec la prise de compléments collagéniques. Toutes les études sur la prise de collagène pendant des traitements conservateurs de tendinopathie ont montré des effets après 2 à 3 mois de supplémentation, mais la dose quotidienne ainsi que le type de collagène variaient d’une recherche à l’autre. Le collagène le plus souvent utilisé était celui de type 1, qui est le composant principal du tendon, mais certaines études ont utilisé du collagène de type 2, qui est celui présent en majorité dans les cartilages, ce qui peut expliquer des variations de résultats. Dans l’ensemble, le collagène semble donc être bénéfique pour les tendons mais il n’est pas encore possible de tirer de conclusions sur le dosage optimal, le moment, la durée et le type de supplémentation. De plus, de nombreuses études ont rajouté un traitement concomitant à la supplémentation en collagène, et les bénéfices du collagène seul restent inconnus.

 Autres nutriments

De nombreux autres nutriments peuvent contribuer à la synthèse du collagène ou avoir des propriétés anti-inflammatoires et ont donc été testés dans plusieurs études. La curcumine, la boswellia serrata (plante), la bromélaïne et l’association méthyl-sulfonyl-méthane / arginine / collagène hydrolysé ont tous été associés à une diminution de la douleur, mais il est difficile de procéder à une évaluation spécifique de chaque nutriment en raison de la multiplicité des nutriments contenus dans un même complément alimentaire. En outre, l’acide aminé leucine peut exercer un effet stimulant sur la synthèse de collagène comme l’a montré une étude dans laquelle les participants ont présenté une hypertrophie tendineuse après supplémentation avec un lactosérum riche en leucine. Même si les résultats de cette étude n’étaient pas concluants, ils pourraient avoir une implication clinique importante car l’hypertrophie des tendons permet de réduire le stress mécanique lors des exercices, ce qui peut aider à la réhabilitation du tendon.
Deux études ont examiné le rôle des acides gras dans le traitement des tendinopathies en raison de leurs propriétés anti-inflammatoires. La supplémentation en oméga-3 était associée à une amélioration modeste du handicap perçu ainsi qu’à une diminution de la douleur. Cependant, la courte durée de suivi et d’autres problèmes méthodologiques limitent l’impact potentiel de ces résultats. Les données actuelles ne confirment pas l’intérêt de l’utilisation des acides gras essentiels mais des recherches supplémentaires sont nécessaires pour évaluer l’impact potentiel d’une plus forte dose et/ou une plus longue durée de traitement. Enfin, une étude réalisée par Szczurko et al sur un traitement naturopathique (enzymes hydrolytiques, conseils nutritionnels et acupuncture) a montré une amélioration significative de la douleur à l’épaule et de la qualité de vie comparé à un traitement seulement composé d’exercices. Bien qu’ils n’aient soulevé que de légères préoccupations sur le risque de biais, leur étude n’apporte qu’une preuve limitée de l’efficacité des compléments alimentaires et/ou des changements de régime sur la tendinopathie car les composants individuels des compléments ne peuvent pas être établis.

Il est nécessaire d’approfondir les connaissances sur l’impact de l’alimentation habituelle sur la santé des tendons car un régime alimentaire sain est la base d’un apport adéquat en nutriment. L’amélioration de l’apport nutritionnel habituel devrait être l’objectif principal des athlètes plutôt que la prise de compléments. Des études de haute qualité avec une évaluation approfondie de l’apport alimentaire sont nécessaires pour déterminer le rôle de la nutrition chez les patients atteints de tendinopathie, ainsi que chez des sujets sains dans un objectif de prévention. Ces recherches devraient être menées spécifiquement chez les athlètes et les populations actives avec une évaluation des mesures cliniques afin de permettre une méta-analyse.

Conclusion

En raison de la qualité scientifique limitée et de la diversité des études sur l’apport en nutriments, sur la localisation des tendons touchés, la population étudiée et les mesures de résultats rapportées, il est impossible de tirer des conclusions définitives et de formuler des recommandations nutritionnelles sur la prévention et le traitement des tendinopathies. Les résultats concernant la consommation d’alcool sont contradictoires. La prise de peptides dérivés du collagène semble être bénéfique pour les tendons. Les futures études cliniques devraient utiliser des méthodes d’évaluation standardisées de l’alimentation, adopter des domaines communs pour la recherche sur les tendons et rapporter un ensemble de résultats de bases pour chaque tendinopathie, dans l’objectif de synthétiser les résultats de différentes études. 

Référence de l'article

Hijlkema A, Roozenboom C, Mensink M, Zwerver J. The impact of nutrition on tendon health and tendinopathy: a systematic review. J Int Soc Sports Nutr. 2022 Aug 3;19(1):474-504. doi: 10.1080/15502783.2022.2104130. PMID: 35937777; PMCID: PMC9354648.