Prévalence des incontinences urinaires chez les athlètes féminines en CrossFit : revue systématique et méta-analyse

Sep 14 / MÉDIAMPHI - ⏱️ 6min

Introduction

Malgré le succès grandissant du CrossFit et ses bénéfices pour la santé, la littérature actuelle s’interroge sur la sécurité de la pratique de ce sport à cause du risque important de blessures lié à la haute intensité à laquelle les exercices doivent être réalisés. Les impacts répétés à haute intensité présents dans ce sport augmentent la pression intra-abdominale, ce qui provoque une surcharge des muscles du plancher pelvien. De plus, à cause d’un temps de repos faible voire inexistant entre et pendant les séances de CrossFit, la fatigue neuromusculaire est particulièrement présente chez les athlètes. L’association de ces deux facteurs peut aboutir à l’incontinence urinaire (UI ; Urinary incontinence). En outre, d’autres caractéristiques de la pratique du CrossFit, telles que le volume d’entrainement hebdomadaire et le port de charges lourdes, peuvent prédisposer les athlètes à l’UI, en particulier les compétiteurs.
Avis du pôle scientifique Médiamphi
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Cette revue systématique critique est un article à risque de biais modéré. La majorité des critères méthodologiques majeurs sont respectés. En effet, les objectifs sont clairs et précis, les critères d’inclusion et non-inclusion sont présentés, puis la sélection des articles, l’évaluation de leur qualité ainsi que l’extraction des données ont été menées avec au minimum deux auteurs. Cependant, la stratégie de recherche manque de clarté et la procédure d’analyses statistiques manque de détails. De plus, la majorité des études sont de faible qualité méthodologique. Cette information a bien été prise en compte par les auteurs. Ainsi, les résultats sont à prendre avec précautions car ils peuvent être sur ou sous-estimés et ne pas refléter la réalité.
Les études sur les pratiquants de CrossFit ont montré la présence de sujets avec un haut indice de masse corporel (BMI ; Body Mass Index), avec une valeur moyenne de 25 kg.m-2, ainsi que de sujets âgés de plus de 58 ans. Similairement, il existe une haute prévalence de femmes multipares chez les athlètes de CrossFit. Sachant que ces trois facteurs sont considérés comme des facteurs de risque d’UI, il est possible que le CrossFit soit associé à des fuites urinaires chez certains pratiquants, ce qui peut altérer leur qualité de vie et les décourager de pratiquer une activité physique.

Les données actuelles sur le risque d’UI lié à la pratique du CrossFit devraient être accessibles à tous les pratiquants et les entraineurs. Même si plusieurs revues systématiques sur la prévalence d’UI dans le sport ont déjà été publiées, aucune d’entre elles ne s’est focalisée sur le CrossFit (à notre connaissance). Cette revue systématique et méta-analyse aura donc pour objectif de déterminer la prévalence d’incontinence urinaire dans le CrossFit ainsi que les facteurs de risque liés à cette affection chez les pratiquants.

Méthode

Cette revue systématique a été réalisée en suivant les recommandations PRISMA. La recherche d’articles a été faite sur les bases de données PubMed, MEDLINE, SPORTDiscus et Scopus au cours du mois de janvier 2022. Les termes suivants ont été utilisés : « CrossFit » / « Urine incontinence » / « Exercise » / « High Impact » / « Pelvic floor disfunction ». 
Pour être sélectionnées, les études devaient suivre les critères d’inclusions suivants :
  • Inclure des pratiquants de CrossFit indépendamment de leur sexe ou leur âge
  • Fournir des informations sur la prévalence de l’UI, sa sévérité et ses facteurs de risque
  • Être une étude transversale ou d’observation
Les études étaient exclues si elles ne fournissaient pas de données sur des pratiquants de CrossFit, si le texte n’était pas disponible en intégralité, la langue n’était ni l’anglais, ni le portugais, ni l’espagnol, ou si c’était une étude de cas, une thèse, une lettre ou un résumé de conférence. Ces critères ont été investigués par deux examinateurs indépendants afin de déterminer l’éligibilité des études.
Les données extraites des articles inclus étaient les informations sur les pratiquants de CrossFit (âge, parité (nombre d’accouchement après 20 semaines de grossesse), nombre d’années de pratique, pratique en loisir ou en compétition), les variables évaluées (prévalence, sévérité et type d’incontinence) ainsi que les facteurs de risque associés à l’UI.

La qualité des études a été déterminée par deux examinateurs indépendants grâce à l’échelle OCEBM (Oxford Center of Evidence-Based Medicine) comme bonne, moyenne ou faible.

Résultats

Un total de 13 articles a été inclut dans cette revue systématique. Ces études transversales ont été classées en « comparative » (n=6) et « non-comparative » (n=7). La taille de l’échantillon était de 4823 individus, uniquement des femmes, et 91% d’entre elles pratiquaient le CrossFit. L’âge moyen était de 31,1 ans (de 18 à 71 ans). La qualité des études a été évaluée de faible pour 10 études à moyenne pour 3 d’entre elles
 Prévalence, sévérité et type d’UI chez les pratiquantes de CrossFit
Sur 3682 pratiquantes, 1637 présentaient une incontinence, soit une prévalence de 44,46%. La sévérité de l’UI a été étudiée dans 5 études ; 55,3% des cas ont été jugés comme UI légère et 40,7% des cas comme UI modérée. L’UI liée au stress (SUI) était le type d’incontinence le plus rapporté (81,2%) dans les 6 études ayant fournis des données sur cette variable. 
 Méta-analyse
Les résultats provenant des 6 études comparatives ont montré que les participantes du groupe contrôle étaient plus jeunes et avaient un BMI plus faible que celles du groupe CrossFit. Le risque de souffrir d’UI était plus élevé dans le groupe CrossFit que dans le groupe contrôle. L’hétérogénéité était importante dans les deux groupes. La méta-analyse pratiquée sur le groupe CrossFit a montré que les pratiquantes présentant des fuites urinaires étaient plus âgées (différence moyenne de 2,02 ans) et avaient un BMI plus élevé (différence moyenne de 0,31 kg.m-2). Enfin, la parité était liée à un taux d’UI plus important.

Discussion

Les résultats obtenus par cette revue systématique proviennent d’études dont la qualité méthodologique était faible ou moyenne, ce qui limite l’interprétation des données analysées. Néanmoins, certains résultats intéressants méritent d’être discutés.
La prévalence totale de l’UI chez les pratiquantes de CrossFit était d’environ 45%. Les études ayant analysé la prévalence de l’UI dans la population féminine générale ont montré des variations importantes dans les pourcentages trouvés, ce qui peut s’expliquer par des différences méthodologiques ou par des différences dans la définition de l’incontinence urinaire. Il semblerait que les études les plus fiables montrent une prévalence de 25-27% dans la population générale, ce qui indiquerait que les pratiquantes de CrossFit seraient plus à risque de présenter une UI. Chez les athlètes féminines (du même âge que l’âge moyen de l’échantillon de cette étude), la prévalence de l’UI est de 26 à 36%. Le CrossFit semble donc présenter un taux de prévalence modéré qui se situe entre les sports à faible taux comme le cyclisme (10%) ou la natation (15%), et les sports à fort impact comme le volley-ball (57,5%), la gymnastique (61%) ou le trampoline (>80%). En revanche, dans cette étude, aucune relation de cause à effet ne peut être extraite des données analysées car des différences significatives d’âge et de BMI ont été trouvées entre les groupes CrossFit et contrôle.

L’âge, la parité et le BMI sont des facteurs de risques connus de l’UI pour diverses raisons. Premièrement, le sphincter strié de l’urètre, qui est un élément majeur du contrôle de la continence urinaire, voit sa fonction décliner avec l’âge en raison d’une diminution de son volume relatif. Deuxièmement, la parité est systématiquement liée à l’UI en raison de la rupture des structures du plancher pelvien et de leur dénervation, en particulier après le premier accouchement par voie basse. Enfin, l’indice de masse corporelle est associé à l’augmentation de la pression intra-abdominale et intra-vésicale, qui dépasse la pression de fermeture de l’urètre et peut amener à l’UI. De plus, le stress oxydatif provoqué par le tissu adipeux viscéral peut avoir un effet négatif sur le collagène et les structures de soutient du plancher pelvien. Ces trois facteurs pourraient donc être identifiés par les entraineurs afin de déterminer les athlètes les plus à risque d’incontinence urinaire d’effort. Les athlètes féminines devraient être encouragées à limiter la consommation de tabac, d’alcool et de caféine ainsi que la consommation excessive de liquide juste avant l’entrainement. Elles devraient aller uriner juste avant l’entrainement et ajouter des exercices de renforcement du plancher pelvien à leur routine sportive.

Les entraineurs doivent également faire attention sur le choix des exercices lors des différents entrainements de la journée, car certains exercices de CrossFit sont associés au risque d’UI. Ces exercices sont principalement ceux de sauts, ce qui peut s’expliquer par le fait que la force de réaction au sol est transmise par les pieds au plancher pelvien, et qu’en ajoutant à cela l’augmentation de la pression intra-abdominale qui se fait lors d’exercices à hauts impacts, on augmente la contrainte sur le plancher pelvien et donc le risque d’UI.

Plusieurs limites liées aux variables (hétérogénéité des études, inclusion uniquement de femmes, provenance des données analysées, …) sont présentes dans cette étude et compliquent l’interprétation des résultats. De plus, d’autre limites méthodologiques, liées à la conception de l’étude, doivent également être prises en compte car elles peuvent avoir conditionné les résultats actuels.

Conclusion

La prévalence des fuites urinaires chez les pratiquantes de CrossFit est d'environ 45 %. L'âge, l'indice de masse corporelle et la parité semblent être des facteurs qui augmentent la probabilité d'UI, tandis que les exercices basés sur des sauts sont souvent associés à des fuites d'urine. En comparaison avec les groupes de contrôle, les pratiquantes de CrossFit ont montré une probabilité plus élevée de présenter une UI. Cependant, il faut noter que les preuves scientifiques trouvées proviennent d'études d'observation présentant une grande hétérogénéité et de larges intervalles de confiance. Ces caractéristiques peuvent entraîner une incohérence et une imprécision dans les résultats rapportés. Ainsi, les résultats actuels doivent être interprétés dans le contexte d'une faible qualité des preuves. Compte tenu de ce qui précède, il est très difficile de tirer des conclusions solides pour confirmer que la pratique du CrossFit ne devrait pas être recommandée en raison d'un risque accru d'incontinence urinaire.

Référence article

Dominguez-Antuña E, Diz JC, Suárez-Iglesias D, Ayán C. Prevalence of urinary incontinence in female CrossFit athletes: a systematic review with meta-analysis. Int Urogynecol J. 2023 Mar;34(3):621-634. doi: 10.1007/s00192-022-05244-z. Epub 2022 May 30. PMID: 35635565; PMCID: PMC9150382.