Biomécanique associée aux fractures de stress tibiales chez les coureurs : revue systématique et méta-analyse

Apr 27 / MÉDIAMPHI - ⏱️ 8 min

Introduction

La course à pied est un sport populaire qui présente de nombreux bénéfices sur la santé mais qui est aussi associée à un taux élevé de blessures de surutilisation. Alors que beaucoup de facteurs internes et externes peuvent contribuer à ces pathologies de surutilisation, la biomécanique de course est un facteur modifiable qui est communément ciblé lors des mesures de prévention.

Les fractures de stress tibiales (TSF) sont causées par des charges mécaniques répétées sur l’os qui créent des microfissures ; lorsque celles-ci s’accumulent, la capacité de régénération et de remodelage de l’os est dépassée et cela peut mener à ces fractures de fatigue, nécessitant un temps moyen de cicatrisation de 8 semaines. De plus, les coureurs ayant un antécédent de fracture de stress tibiale ont 5 fois plus de chances de connaitre un nouvel épisode.
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Cette méta-analyse est un article à risque de biais modéré. En effet, les critères d’inclusion et d’exclusion ne sont pas décrits ne permettant pas de savoir comment les articles ont été sélectionnés. De plus, deux résumés de conférence ont été inclus dans les articles finaux, ce schéma d’étude n’est pas adéquat pour répondre à leur question de départ et effectuer une méta-analyse. Par conséquent, les résultats de cette étude sont à prendre avec précautions car peuvent être sur ou sous-estimés par rapport à la réalité.
Actuellement, la plupart des études s’intéressent à la biomécanique chez les coureurs sains et n’incluent pas les TSF dans leurs analyses. De plus, celles mettant en cause la biomécanique de course comme facteur de risque de TSF ne comparent pas les différences entre les sujets sains et ceux avec des antécédents de fractures de stress tibiales. L’objectif de cette revue de littérature sera donc l’analyse de la biomécanique des coureurs avec TSF et la comparaison à celle de coureurs sains.

Méthode

Une question de recherche a été créée pour cette revue : Quels sont les paramètres biomécaniques différenciant les coureurs avec TSF de ceux sans TSF ?
La recherche a été menée sur PubMed, Web of Science, SPORTDiscus, Scopus, Cochrane et CINAHL jusqu’en Mai 2021.

Les données extraites étaient : pays et années de publication, critères d’inclusions et d’exclusions, caractéristiques des groupes, caractéristiques des participants (âge, sexe, niveau de course et type d’attaque du pied au sol), taille des échantillons, vitesse de course et type de chaussure utilisé pendant le test. Au total, 14 études ont été incluses (12 articles de recherche et 2 résumés de conférence) dont une seule comparant les données biomécaniques des coureurs avec TSF de ceux sans. Les articles de recherche étaient de haute qualité et avaient un score de 7/7 selon les critères de l’Institut Joanna Briggs et les résumés de conférence étaient notés 2/7 et 3/7.

Afin d’éviter les risques de biais, les 2 conférences n’ont pas été comprises dans la méta-analyse. Pour être intégrées dans la méta-analyse les variables devaient être présentes pour les groupes TSF et contrôle dans au moins 3 études. Des méta-analyses séparées ont été conduites pour chaque variable continue. Les différences entre les groupes sont considérées significatives si la p-value est inférieure à 0,05.

Résultats

Les 14 études incluses étaient comprises entre 1993 et 2020. Le diagnostic de fracture de stress tibiale était posé par un professionnel médical et/ou confirmé par imagerie selon les articles.
Les coureurs des deux groupes étaient en bonne santé et sans blessure au moment où les données ont été collectées. La majorité des études a été réalisée en intérieur, reflétant l’analyse traditionnelle en laboratoire, cependant une étude a été menée en extérieur et une autre sur un tapis de course instrumenté. Quand elle était rapportée, la vitesse de course était fixée et échelonnée de 3,6 m/s à 4 m/s. Dans l’étude sur tapis de course, la vitesse a été auto-sélectionnée et elle était de 2,60 m/s chez les coureurs sains et de 2,65 m/s chez les coureurs avec TSF.

Les mesures biomécaniques ont été faites sur la cinématique des membres inférieurs, l’accélération du tibia et les forces de réaction au sol. Le stress sur le tibia a été modélisé en combinant l’analyse 3D de la mécanique des coureurs et les paramètres osseux, obtenus par radiographie.

La méta-analyse a été conduite sur 3 variables : force d’impact verticale, force active verticale et force de freinage. La méta-analyse n’a pas révélé de différences significatives sur ces trois facteurs entre les groupes TSF et contrôle. Plus précisément, les p-values étaient de 0,92 pour la force d’impact verticale, 0,36 pour la force active verticale et 0,53 pour la force de freinage.

Concernant la revue de littérature, un total de 25 variables cinétiques et cinématiques a été rapporté mais la plupart ne présentaient aucune différence entre les deux groupes. Cependant, les pics d’angle d’éversion et d’adduction de hanche était significativement plus élevés dans le groupe TSF que contrôle, avec un effet respectivement modéré et large. La raideur du genou dans le plan sagittal pendant la phase d’early stance était significativement plus élevée dans le groupe TSF avec une large taille d’effet. Enfin, l’amplitude de rotation du tibia lors de la course pieds nus était plus faible dans le groupe TSF, avec une taille d’effet modérée.

Un total de 38 forces de réactions au sol différentes a été observé, la plupart ne présentant pas de différence significative entre les groupes. Dans l’un des articles, la force d’impact verticale et le pic de force de propulsion étaient significativement plus faibles dans le groupe TSF que dans le groupe contrôle, mais selon les autres études, ils ne présentaient pas de différences entre les groupes. Le taux de charge verticale instantanée et le pic du moment d’adduction présentaient des différences entre les groupes selon certaines études, mais pas selon d’autres et les différences ne sont donc pas considérées comme statistiquement significatives. Le pic de force de freinage était plus grand dans le groupe TSF que dans le groupe contrôle mais avec un effet modéré. Une fracture de stress tibiale pendant la course a été rapportée dans une étude de Meardon et al. Dans cette même étude, la contrainte de traction antérieure maximale et la contrainte de compression postérieure maximale étaient plus élevés dans le groupe TSF que dans le groupe contrôle, avec une taille d’effet modérée.

Discussion

Les 14 articles inclus présentaient un faible risque de biais, à l’exception des 2 résumés de conférence. Cependant, la majorité d’entre eux n’incluaient pas de groupe TSF malgré la question de recherche dans laquelle le terme était utilisé et au détriment de l’enjeu de l’analyse biomécanique des coureurs avec antécédents de TSF. Les résultats comparatifs proviennent donc d’un faible échantillon d’études.

De plus, la plupart des études étaient réalisées sur un faible nombre de participants ; seulement 2 études ont inclus plus de 26 participants par groupe et aucune n’en a inclus plus de 30. Augmenter la taille des échantillons des études sur les coureurs avec TSF serait nécessaire afin d’augmenter les chances de détecter une différence significative entre les groupes, mais cela impliquerait beaucoup plus de ressources, ce qui constitue une limitation pratique pour de nombreux chercheurs.

Les variables présentes dans les études doivent aussi être considérées avec précautions et méritent des études plus approfondies. La littérature actuelle a identifié des différences biomécaniques entre les coureurs avec TSF et les coureurs sains mais des recherches supplémentaires doivent être menées pour affirmer ces résultats. Sur les 67 variables, seulement 3 ont été rapportées dans plus de 3 études de haute qualité et ont donc été incluses dans la méta-analyse. Elles correspondaient à des forces de réactions au sol et n’ont pas montré de différence significative entre les groupes TSF et contrôle. Cela s’explique par le fait que la force de réaction au sol est une réponse à l’accélération du centre de masse de l’ensemble du corps et non d’un segment spécifique tel que le tibia. La contrainte osseuse étant influencée par les forces musculaires et les forces de réaction des articulations (en plus des forces de réaction au sol), il est possible que les variables intégrées à la méta-analyse ne soient pas assez sensibles pour obtenir une différence entre les groupes TSF et contrôle.

Concernant les 64 autres variables, elles n’étaient rapportées que dans une étude et ne présentaient pas de différences significatives entre les groupes. Cependant, leurs résultats suggèrent que le tibia est chargé différemment pendant la course chez les coureurs avec TSF ; ils présentent des forces de traction antérieure et de compression postérieure plus importantes que des coureurs sains. Ces mesures de forces sur le tibia devraient prendre en compte la biomécanique de course afin de déterminer quels schémas moteurs diminuent la contrainte sur le tibia. Une étude a mis en évidence que l‘éversion de l’arrière-pied est couplée à la rotation du tibia par le biais de l’articulation sous-talienne ; une amplitude de rotation du tibia plus faible associée à une éversion maximale de l’arrière-pied pourrait augmenter la torsion sur le tibia et contribuer à l’augmentation de la contrainte osseuse. Des différences dans l’alignement des membres inférieurs dans le plan frontal peuvent donc modifier la distribution des forces sur le tibia et augmenter le risque de blessure.

Concernant les participants, les études n’ont inclus que des coureurs avec des antécédents de TSF, à l’exception d’une qui a analysé des coureurs actuellement blessés. La majorité des études étaient rétrospectives mais au vu de l’importance des récidives suite à une première fracture de fatigue du tibia, ces études peuvent mettre en évidence des mécanismes sous-jacents de risque d’un nouvel épisode de TSF. De plus, la plus grande partie des articles se sont concentrés sur les coureuses féminines du fait de l’incidence plus importante des fractures de fatigue dans cette population. Du fait des différences biomécaniques de course entre les hommes et les femmes, il serait important de vérifier que les variations entre les groupes TSF et contrôle chez les athlètes féminines se retrouvent aussi chez les athlètes masculins. Enfin, à l’exception de 2 études, toutes ont analysé la biomécanique de course sur tapis en laboratoire mais les données scientifiques récentes suggèrent que les variables mécaniques sont différentes entre la course sur tapis et la course en extérieur ; par exemple l’accélération du tibia est plus importante en extérieur que sur tapis. Les différences biomécaniques entre les groupes TSF et contrôle ayant été trouvées sur tapis, les futures recherches devraient être réalisées en extérieur afin de voir si les mêmes différences sont observées.

Conclusion

La littérature actuelle montre un intérêt grandissant pour l’identification des facteurs de risque de fracture de stress tibiale, notamment par l’analyse de la biomécanique de course. Malgré cela, très peu d’études ont comparé les différences biomécaniques entre des coureurs sains et des coureurs avec TSF. Sur les nombreuses variables analysées dans ces études, aucune n’a montré de différence significative entre les groupes TSF et contrôle, ce qui a été confirmé par la méta-analyse pour la force d’impact verticale, la force de freinage et la force verticale active. Les échantillons utilisés dans les études étant relativement faibles, les résultats ont pu être sous-estimés. Les futures recherches devraient donc inclure des échantillons plus grands, d’au moins 26 sujets par groupe, et devraient comparer des coureurs avec des antécédents de TSF, des coureurs actuellement bléssés et des coureurs sains pour détecter d’éventuelles différences biomécaniques.

Référence article

Milner CE, Foch E, Gonzales JM, Petersen D. Biomechanics associated with tibial stress fracture in runners: A systematic review and meta-analysis. J Sport Health Sci. 2022 Dec 5:S2095-2546(22)00116-8. doi: 10.1016/j.jshs.2022.12.002. Epub ahead of print. PMID: 36481573.