Déficit énergétique relatif dans le sport (RED-S) : implications scientifiques, cliniques et pratiques pour les athlètes féminines

Mar 2 / MÉDIAMPHI - ⏱️ 12 min
La disponibilité énergétique (energy availability ; EA) est un concept nutritionnel définit par la différence entre l’apport énergétique journalier (daily energy intake ; EI) et la dépense énergétique par l’exercice (exercice energy expenditure ; EEE). Elle est exprimée en relation avec la masse non-grasse (free-fat mass ; FFM). Une EA inadéquate dans le sport correspond à une faible disponibilité énergétique (low energy availability ; LEA). La LEA aigüe et/ou chronique peut causer des effets néfastes sur la santé des athlètes et est appelée « syndrome de déficit énergétique relatif dans le sport » (RED-S). Le RED-S syndrome se produit lorsque l’EI est insuffisant pour supporter l’EEE quotidienne d’un athlète ; cela amène à la LEA qui peut causer divers dysfonctionnements physiologiques et psychologiques amenant à une diminution des performances sportives.

L’un des symptômes de LEA chez les femmes est l’irrégularité du cycle menstruel ; elle est causée par des changements hormonaux et peut amener à un état anovulatoire. Les autres symptômes associés au RED-S et à la LEA chronique sont les problèmes gastrointestinaux, les dysfonctions cardiovasculaires, l’hypogonadisme hypogonadotrope, les problèmes psychologiques et l’altération de la santé osseuse, l’ensemble amenant à une diminution des performances sportives et une augmentation du risque de blessure.
Avis du pôle scientifique Médiamphi
Pastille grise
Une revue narrative n’a pas de méthodologie standardisée et ne peut donc pas être évaluée sur sa qualité méthodologique avec des grilles de lecture standards. Les résultats sont à prendre avec précautions, sous forme d’hypothèses, à valider par des études à faible risque de biais dont le design est adapté à la question de recherche.
Malheureusement, les informations sur ces problèmes sont encore rares et de nombreux athlètes, entraîneurs et professionnels de santé sont mal informés sur ce syndrome. Cet article a pour but de fournir des connaissances de base et une bonne compréhension des syndromes LEA et RED-S, en particulier de leur impact sur la santé et les performances sportives des athlètes féminines, où le RED-S semble avoir la prévalence la plus élevée.

LEA : La cause du RED-S

Le RED-S syndrome survient après une faible disponibilité énergétique (LEA), c’est-à-dire quand l’énergie provenant de l’apport alimentaire est inférieure à l’énergie dépensée lors de l’exercice (EEE).

EA = EI (kcal) - EEE (kcal/FFM)

La EEE est défini par l’énergie dépensée uniquement lors de l’exercice, son résultat global est exprimé par rapport à la masse non-grasse (FFM) car c’est le tissu le plus actif sur le plan métabolique.

L’obtention d’une mesure précise de la FFM donne une meilleure estimation de l’EA ; elle peut être obtenue par des appareils tels que la DXA (Dual Energy X-Ray Absorptiometry) ou l’analyse de l’impédance bioélectrique (BIA). La BIA est plus facilement utilisable, mais donne des résultats moins fiables, notamment chez les athlètes où elle a tendance à sous-estimer la FFM.

Pour les athlètes, l’EA doit aussi prendre en compte la dépense énergétique totale, incluant la dépense énergétique lors d’efforts mais aussi celle liée aux activités de la vie quotidienne. Pour des adultes en bonne santé, une consommation de 45 kcal/Kg de FFM suffit à fournir l’énergie nécessaire à tous les processus physiologiques et métaboliques qui ont lieu en fonction de l’énergie encore disponible après un effort physique. Une consommation inférieure à 30kcal/kg de FFM pour les femmes et inférieure à 25 kcal/kg de FFM a été proposée comme seuil clinique de la LEA mais les preuves scientifiques sont encore faibles et font débat. De plus, à ce jour, aucun consensus n’a été établi quant à la durée nécessaire de LEA avant le développement du RED-S et de l’altération de la performance. Stellingwerff et al ont donc proposé une classification en LEA court-terme (inférieur à 1mois), LEA moyen-terme (entre 1 et 3mois) et LEA long-terme (supérieur à 3mois). La LEA peut résulter d’une réduction de l’apport calorique, avec ou sans troubles de l’alimentation, et/ou d’une augmentation de la dépense énergétique.

Certains athlètes peuvent se retrouver de façon non voulue en LEA pendant des périodes d’entrainement intensif, de compétition, ou s’ils exercent des sports à très haute dépense énergétique ou impliquant des restrictions de poids. Les professionnels de santé et les entraineurs devraient être vigilants sur l’identification de ces périodes et des troubles physiques et/ou psychologiques laissant supposer un état de LEA et risquant d’amener l’athlète au RED-S syndrome.

Les sports par catégories de poids ou qui mettent l’accent sur la minceur présentent la plus forte prévalence de troubles alimentaires. Ces troubles sont à la base de nombreux cas de LEA et englobent une série de comportements alimentaires irréguliers (hyperphagie, prise de laxatifs, anorexie mentale, boulimie etc …) pouvant avoir des conséquences graves telles que l’aménorrhée ou l’ostéoporose. Les athlètes féminines présentent la plus grande prévalence de ces troubles alimentaires (entre 6 et 45%), et elles ont tendance à sous-déclarer les symptômes de ces troubles dans les questionnaires. Les symptômes tels que les changements soudains de poids, la perte des cheveux, des menstruations irrégulières ou encore des fractures de stress devraient être particulièrement surveillés.

 Conséquences du RED-S syndrome sur la santé

Le RED-S syndrome entraine de nombreuses conséquences physiques et psychologiques chez les athlètes, augmentant ainsi le risque de maladie et de blessure.
L’une des conséquences les plus courantes chez les athlètes féminines est le dérèglement du cycle menstruel, pouvant se manifester sous sa forme la plus grave : l’aménorrhée. Cette dernière peut se diviser en aménorrhée primaire (absence de menstruations chez les filles jusqu’à l’âge de 15ans) et aménorrhée secondaire (absence de menstruations pendant trois mois consécutifs chez une femme normalement réglée). Ces anomalies du cycle menstruel concernent 20% des athlètes, et peuvent atteindre jusqu’à 44% chez les danseuses de ballet et 51% chez les coureuses d’endurance.
Ces dérèglements sont expliqués par les effets de la LEA sur l’hypothalamus et l’hypophyse antérieure ; elle entraine la suppression de certaines hormones (FSH, LH et l’hormone de libération des gonadotrophines) ce qui entraine l’inhibition de la production endogène d’œstrogène et de progestérone. Ce phénomène est appelé aménorrhée hypothalamique fonctionnelle et même si son impact sur la fertilité à long terme n’est pas connu, il pourrait être relativement important.

En plus de son effet sur les hormones sexuelles féminines, la LEA modifie les niveaux des hormones métaboliques et des biomarqueurs d’utilisation des substrats énergétiques tels que l’insuline, le cortisol, l’hormone de croissance, la ghréline, la leptine, les acides gras, les cétones etc … Cela se traduit par une plus faible glycémie à jeun et en post-exercice, indiquant une capacité réduite de l’organisme à maintenir l’homéostasie du glucose. De plus, la LEA a un effet négatif sur la production d’ATP par les mitochondries ainsi que sur la disponibilité du glycogène musculaire, les deux ayant des implications importantes sur le risque de blessure et l’altération de la performance.

Enfin, les irrégularités du cycle menstruel ainsi que la diminution des œstrogènes et de la progestérone ont un impact sur la santé cardiovasculaire, avec une augmentation de l’épaisseur des artères et un risque accru de maladie cardiovasculaire.

 Implications sur les performances et le risque de blessure

Une période prolongée de LEA entraine des diminutions dans les performances sportives par des phénomènes complexes et multifactoriels, pouvant inclure une augmentation du risque de maladies et de blessures, une altération de la fonction cardiovasculaire, une diminution des capacités neuromusculaires et une désadaptation à l’entrainement. La connaissance des acteurs du sport sur le RED-S et ses conséquences est indispensable, d’autant plus que la majorité des athlètes n’auront pas conscience ou n’exprimerons pas les effets négatifs de la LEA tant que ceux-ci n’affectent pas leur performance physique et/ou psychologique.

Les athlètes présentant des perturbations du cycle menstruel liées à un état de LEA sont celles qui présentent la plus haute prévalence de lésions musculosquelettiques, entrainant un grand nombre de jours perdus dans leur sport. La participation de l’athlète à l’entrainement est l’un des facteurs les plus déterminant de la performance, avec 7 fois plus de chance d’atteindre leurs objectifs sportifs pour les athlètes accomplissant 80% des séances planifiées. Enfin, les athlètes avec une aménorrhée fonctionnelle hypothalamique présentent 4 fois plus d’entrainements manqués, avec 4,5 fois plus de blessures osseuses.

La LEA a aussi été identifiée comme un des plus hauts facteurs de risque de maladie lors des Jeux Olympiques de 2016, avec des athlètes présentant des symptomatologies d’infection pulmonaire haute ainsi qu’une diminution des marqueurs de la fonction immunitaire. L’ensemble impacte les réponses physiologiques aigües à l’entrainement, amenant l’athlète à une diminution de ses performances. C’est ce qu’a montré Vanheest et al chez des nageuses professionnelles, avec une diminution de 9,8% des performances au contre-la-montre chez celles présentant une LEA. Cette réponse inadaptée à l’entrainement s’explique aussi par la perte de masse grasse et de masse maigre lors d’une LEA prolongée, avec une diminution de la synthèse des protéines et une diminution de l’énergie disponible pour répondre aux exigences sportives.

Enfin, le RED-S syndrome entraine de nombreux effets psychologiques négatifs, avec un effet de potentialisation entre ces effets et la LEA ; en effet, elle peut entrainer des troubles alimentaires (comme une anorexie mentale), lesquels sont considérés comme des troubles psychologiques qui amènent à terme au RED-S syndrome. La plupart des athlètes ont construit des croyances et peuvent chercher à diminuer leur apport énergétique et à augmenter leur dépense énergétique journalière. Cela peut causer une anxiété sévère, une dépression voir des pensées suicidaires chez les sportives, notamment lorsque l’on cherche à modifier leurs habitudes alimentaires dans le but de diminuer le RED-S. Les athlètes présentant une LEA expérimentent 2,4 fois plus de problèmes psychologiques, tels que l’irritabilité, la dépression, le manque de concentration et la diminution de la coordination, l’ensemble entrainant une augmentation du risque de blessure. Une des problématiques rencontrées est que la perte de poids initiale faisant suite une augmentation des entrainements et une diminution de l’apport énergétique peut améliorer les performances de l’athlète. Cela est valable uniquement à court terme, mais peut pousser l’athlète à continuer dans ces comportements, ce qui l’entrainera à long terme dans le RED-S syndrome. Si le côté psychologique n’est pas considéré et traité, même après une guérison du RED-S syndrome, le risque qu’une athlète revienne à une LEA à cause de ses croyances est considérablement élevé.

 Procédures d’analyse du RED-S

L’analyse du RED-S devrait commencer par un historique personnel détaillé et guidé de l’athlète, incluant des questions sur son activité physique, ses antécédents de blessures ainsi que ses blessures actuelles, ses croyances nutritionnelles et son cycle menstruel. Ce screening devrait avoir lieu en présaison afin de déterminer les athlètes à risque et de leur assurer un suivi. Traditionnellement, le Pre-Participation Physical Evaluation développé aux États-Unis est utilisé pour identifier les troubles et croyances concernant la nutrition. D’autres questionnaires peuvent être utilisés mais ils ont quasiment tous été conçus avant le consensus IOC de 2014 (Beyond the female athele triad : relative energy deficiency in sport), qui a établi un questionnaire plus pertinent : le RED-S Clinical Assessment Tool (CAT). Le RED-S CAT permet l’évaluation de la LEA des athlètes et sert de guide aux praticiens pour déterminer le retour au sport. Il devrait donc être pratiqué en présaison ainsi qu’à tout moment chez une athlète présentant des symptômes du RED-S.

Le RED-S CAT est réalisé en trois étapes : évaluer l’état de santé de l’athlète, évaluer sa participation à des sports à risque et enfin décider de la démarche à suivre. Les facteurs considérés comme à haut risque dans ce questionnaire sont l’anorexie mentale, les autres troubles alimentaires graves, l’utilisation de techniques de perte de poids extrême et les anomalies électrocardiographiques ; ils peuvent amener à une décision d’arrêt du sport. Pour ces athlètes, l’utilisation d’un contrat de traitement est indispensable ; il détermine l’approche multidisciplinaire à mettre en place et l’accord entre l’équipe et l’athlète sur les traitements à suivre en prévision d’un retour au sport et/ou à la compétition.

Les facteurs de risque modérés sont un faible pourcentage de masse graisseuse, une perte de poids conséquente, une LEA prolongée ou sévère, les troubles du cycle menstruel, une diminution de la densité osseuse (avec ou sans fracture de fatigue) et les troubles alimentaires contribuant. Ces athlètes peuvent continuer leur sport à condition d’être sous surveillance d’une équipe médicale.

Les facteurs à faible risque sont un apport énergétique alimentaire adapté dans le cadre d’une alimentation saine et une activité physique adaptée sans stress excessif ou stratégie de régime malsaine.

Le RED-S CAT est un outil permettant de transcrire la science et de l’appliquer en pratique dans le but d’évaluer et de suivre les athlètes, en les classant en risque Rouge – Jaune – Vert, pour leur assurer une sécurité et un maintien de leur santé physique et mentale. Il est applicable aux athlètes masculins et féminins à l’exception des deux points sur le cycle menstruel. L’une des limites du RED-S CAT est l’absence d’évaluation standardisée de la LEA par le biais des habitudes alimentaires et sportives. De plus, l’utilisation de marqueurs tels que la densité osseuse, l’électrocardiographie ou les seuils hormonaux devrait être systématique dans le suivi des athlètes, mais leur accès est parfois limité en pratique courante.

 Recommandations de prévention et de traitement

Le médecin devrait évaluer régulièrement les athlètes au fil de la saison et leur proposer un plan de traitement et de réhabilitation afin d’assurer le retour au sport de l’athlète en toute sécurité. Les professionnels de santé devraient plaider en faveur de l’intégration des programmes de sensibilisation au RED-S syndrome dans les sports au niveau national et international. L’équipe multidisciplinaire devrait toujours inclure la présence d’un diététicien agréé et formé dans la détection des troubles alimentaires et de la LEA chez l’athlète. Il devrait prendre part à la prévention en proposant des programmes éducatifs en nutrition et en performance, et en encourageant les sportifs à avoir un apport énergétique suffisant. De plus, il est indispensable qu’il travaille de façon individuelle avec chaque athlète afin de l’orienter sur sa consommation de micro et macronutriments, le choix du moment des repas, le choix des suppléments et l’établissement d’habitudes alimentaires positives. Enfin, il devrait plaider pour l’utilisation fréquentes d’analyses tels que l’IRM ou la BIA afin de surveiller les changements de composition corporelle des athlètes (densité minérale osseuse, pourcentage de masse grasse, …).

D’autres professionnels de santé peuvent servir de soutien aux médecins et diététiciens, en particulier les physiothérapeutes du sport du fait de leur interactions fréquentes et quasi-quotidienne avec les sportifs. Les entraîneurs ont aussi une obligation de vigilance quant aux comportements et à la symptomatologie du RED-S syndrome, et ils ne devraient pas hésiter à communiquer avec les professionnels de santé afin d’assurer la meilleure prise en charge de leurs athlètes.

 Applications pratiques

Le processus de traitement et de suivi du RED-S syndrome peut s’avérer compliqué et a pour objectif la poursuite ou la reprise d’une dépense énergétique optimale ainsi que d’une participation aux entrainements sûre et appropriée. Pour guider au mieux les athlètes, il faudrait suivre un modèle de haute performance (MHP) centré sur le développement à long terme du bien-être et de la performance de l’athlète. Cela passe par la gestion scientifique ainsi que la définition de l’objectif, de la culture, des valeurs et des philosophies d’entrainement pour une équipe et pour l’athlète lui-même. La gestion scientifique permet de déterminer les processus d’évaluation fondés sur les preuves et les données statistiques plutôt que sur les habitudes et croyances individuelles. Elle permet d’établir des attentes claires et de favoriser la transparence et la confiance entre l’athlète et l’équipe médicale.

Enfin, la mise en place d’une équipe multidisciplinaire avec une identité de groupe et une communication structurée est indispensable dans un objectif de performance du groupe et de retour au sport de l’athlète atteint de RED-S. Le partage des connaissances via une communication ouverte impliquera d’avantage tous les acteurs et facilitera l’intégration et la collaboration entre eux.

Conclusion

Actuellement, il est prouvé que le RED-S syndrome fait suite à une LEA, et que cette dernière est bien plus fréquente qu’on pouvait le penser chez les athlètes. Les conséquences du RED-S compromettent les adaptations à l’entrainement, le développement de la performance et atteignent la santé de l’athlète, notamment féminine, chez qui la santé osseuse par exemple peut prendre des mois, voire des années, avant d’être complètement rétablie. La mise en place d’une prévention est donc indispensable, et passe par le développement d’une équipe pluridisciplinaire, avec des connaissances et une communication optimale, dans l’objectif de permettre à l’athlète d’atteindre son plein potentiel dans le sport tout en assurant sa santé. 

Référence article 

Cabre HE, Moore SR, Smith-Ryan AE, Hackney AC. Relative Energy Deficiency in Sport (RED-S): Scientific, Clinical, and Practical Implications for the Female Athlete. Dtsch Z Sportmed. 2022;73(7):225-234. doi: 10.5960/dzsm.2022.546. Epub 2022 Nov 1. PMID: 36479178; PMCID: PMC9724109.