Impact perçu du cycle menstruel et des hormones contraceptives sur l’exercice physique et la performance chez 1086 athlètes dans 57 sports

Feb 9 / MÉDIAMPHI - ⏱️ 9 min
Les athlètes féminines s’entraînent sous l’influence du cycle menstruel et pour certaines des hormones contraceptives. Les perturbations hormonales et dysménorrhées sont plus fréquentes chez les sportives que dans la population générale et pourraient avoir un impact significatif sur les entrainements et les performances, mais nous manquons encore d’études sur le sujet. 

Le cycle menstruel peut être divisé en 3 phases distinctes :
  • La phase folliculaire ; des menstruations à l’ovulation
  • La phase d’ovulation ; au milieu du cycle, dure de 24 à 48 heures
  • La phase lutéale ; de l’ovulation aux prochaines menstruations
Bien que le niveau de progestérone et d’œstradiol varie pendant ces différentes phases, les études de leurs effets sur la performance physique montrent des résultats divergents.
Une méta-analyse récente a conclu que la force musculaire, ainsi que les performances aérobies étaient réduites lors du début de la phase folliculaire (pendant les menstruations, où les niveaux de progestérone et d’œstradiol sont bas), mais beaucoup d’études incluses présentaient des limitations et ne tenaient pas compte de différents facteurs tels que le syndrome prémenstruel (SPM), les aménorrhées ou le bien-être général de l’athlète. 
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Avis du pôle scientifique Médiamphi
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Cette étude transversale est un article à risque de biais modéré. En effet, la majorité des critères méthodologiques majeurs sont respectés mais le questionnaire utilisé peut avoir introduit certains biais. Il a été testé pour sa compréhension dans une étude pilote mais n’a pas fait l’objet d’études sur sa fiabilité et validité ne permettant pas d’interpréter correctement les résultats. Ces derniers sont donc à prendre avec précautions sous forme d’hypothèses.
Environ 50 à 57% des athlètes féminines utilisent des contraceptions hormonales (proportion encore plus importante dans certains sports). Ces contraceptions sont en général une pilule contenant progestine et œstrogène, mais chez les athlètes on retrouve une majorité de contraception seulement à la progestine (64%) ; selon les études, les pilules œstrogène-progestine diminuent légèrement plus les performances que les contraceptions uniquement à la progestine. 
Davantage de connaissances sont requises sur le cycle menstruel, la prise de contraceptifs hormonaux et les impacts perçus par les athlètes sur l’entrainement et les performances physiques. C’est pourquoi cette étude aura 3 objectifs :
  • Caractériser les perceptions de l’entrainement et de la performance durant les phases du cycle menstruel et/ou sous l’utilisation de contraceptifs hormonaux
  • Explorer si les symptômes ressentis sont liés à la performance perçue
  • Examiner les différences potentielles entre les athlètes en fonction de leur niveau

Méthode

Les athlètes féminines incluses dans l’étude avaient toutes plus de 18 ans et appartenaient aux fédérations Suédoise ou Norvégienne de sport.
Un questionnaire a été conçu pour répondre à l’objectif de cette étude, en se basant sur un questionnaire provenant d’une étude pilote menée sur 124 athlètes d’âge médian de 20 ans. Il comprend 46 questions, prend environ 20 minutes à remplir, et a été envoyé aux participantes entre Juin et Décembre 2021. Six questions étaient des questions fermées, et 40 étaient des questions à choix multiples, avec des réponses écrites uniquement quand la participante cochait la case « autres ». Les informations rapportées concernaient le niveau d’entrainement et de compétition, l’historique du cycle menstruel, l’utilisation de contraceptifs hormonaux et les symptômes en relation tels que le syndrome prémenstruel et les dysménorrhées.

Les athlètes ont été catégorisées en fonction de leur niveau de compétition : top élite (participation aux jeux olympiques ou championnat du monde / européen), élite (autres compétitions internationales, national et meilleur niveau national), sous-élite (deuxième division nationale).
La durée du cycle menstruel considérée comme « normale » a été déterminée à 28 jours, avec des variations allant de 23 à 35 jours selon les participantes. La phase folliculaire dure 7 jours, suivi de 2 jours de phase ovulatoire, elle-même suivit par la phase lutéale qui s’étend jusqu’aux prochaines menstruations. Des variations ont été définies :
  • Oligoménorrhée : durée de cycle supérieure à 36 jours mais inférieure à 3 mois
  • Aménorrhée primaire : absence de menstruations chez les femmes de plus de 15 ans
  • Aménorrhée secondaire : absence de menstruations sur au moins trois mois consécutifs
  • Syndrome prémenstruel (SPM) : symptômes physiques, psychologiques et sociaux apparaissant à la fin de la phase lutéale et s’arrêtant quelques jours après le début des menstruations.
L’analyse des résultats s’est basée sur les réponses au questionnaire, qui ont été exprimé en pourcentage et en nombre total.

Résultats

Les 1086 athlètes (dans 57 sports différents) ont été classées soit dans le groupe prenant une contraception hormonale (679 ; 63%) soit dans le groupe n’en utilisant pas (407 ; 37%).

La plupart des athlètes ont eu leurs premières menstruations dans un âge normal (93%).
Les problèmes de dysménorrhée ont été rapportés chez 68% d’entre elles, et ont entraîné la prise de médicaments pour soulager les douleurs dans 72% des cas ; 65% par automédication, 7% sur prescription médicale et 13% prenant la pilule pour régler leurs problématiques de dysménorrhée.
Les athlètes du groupe contraception hormonale présentaient moins de dysménorrhées que le groupe n’en utilisant pas, en revanche elles ont connu plus d’aménorrhées secondaires. La plupart des aménorrhées ont fait suite à une augmentation de la charge d’entrainement ou à une perte de poids.

Sur l’ensemble des athlètes, 76% pensaient que leur cycle menstruel ou la prise de contraceptifs hormonaux exerçait une influence partielle ou élevée sur les performances à l’entrainement, ainsi que sur leurs performances en compétition (pour 73% d’entre elles). En revanche, seulement 18% ont déclaré adapter leurs entrainements en fonction de leur cycle.
Au total, 45% des athlètes ont déjà annulé un entrainement planifié ou une compétition (pour 14%) en raison de leur cycle menstruel ou de la prise de contraceptifs hormonaux. La raison majoritaire était la douleur rapportée (33% pour l’entrainement et 11% pour la compétition). Il n’y a pas eu de différence entre les utilisatrices de contraception hormonale et les non-utilisatrices, en revanche les athlètes ne prenant pas de contraception se sont plus souvent absentées pour raisons de symptômes mentaux du SPM (dépression, irritabilité, problème de concentration …) que celles en prenant.

 Impact du cycle menstruel

Concernant la durée du cycle, seulement 6% des athlètes ont déclaré avoir un cycle supérieur à 36 jours et 2% inférieur à 23 jours. Chez les sportives ne prenant pas de contraception hormonale, 78% ont rapporté avoir un syndrome prémenstruel, avec pour symptôme physique principal la sensibilité de la poitrine (43%) et pour symptôme mental principal l’irritabilité (54%). Les athlètes rapportent en général entre 3 à 10 symptômes différents pendant leur SPM.
Une grande partie des athlètes a rapporté une meilleure forme physique lors de la phase d’ovulation comparé aux phases folliculaires précoce et lutéale tardive. Des résultats similaires ont été trouvés concernant la force musculaire, la capacité aérobie et la qualité de sommeil. 100% des participantes ayant rapporté un effet physique négatif pendant la fin de la phase lutéale sont sujettes aux SPM, contre 76% chez celles n’ayant pas rapporté de différences entre les phases.

 Impact de l’utilisation de contraceptifs hormonaux 

Les hormones contraceptives les plus répandues étaient celles à la progestine. Les athlètes avaient le plus souvent recours à la prise orale via la pilule combinée progestine et œstrogène, dont la majorité présentait une dominance de progestine (64%, appelé pilule de deuxième génération). La principale raison de l’utilisation d’une contraception hormonale était le risque de grossesse (82%), suivit de la régulation de la dysménorrhée, le contrôle des saignements pendant les menstruations et la régulation du cycle menstruel.

De nombreux effets secondaires ont été rapportés, sans différence significative entre les contraceptions à la progestine et les contraceptions combinées, les plus fréquents étant la sensibilité de la poitrine, la diminution de la libido et les changements d’humeur. De plus, 47% des athlètes prenant une contraception orale combinée ont rapporté un impact négatif sur leurs performances physiques et leur qualité de sommeil, en particulier pendant la phase inactive de la pilule. La dysménorrhée a été rapportée par 77% des sportives percevant des effets négatifs sur leur performance.

 Comparaison en fonction du niveau des athlètes 

Les différences principales en fonction du niveau des athlètes étaient l’âge et le nombre d’heures d’entrainement. Les sportives du groupe sous-élite avaient un indice de masse corporelle plus élevé que les autres groupes. La fréquence de la dysménorrhée était similaire entre les groupes, en revanche les sportives du groupe élite ont rapporté des saignements menstruels moins réguliers que les autres.
Les hormones contraceptives étaient en majorité utilisées dans le groupe sous-élite, avec pour motif principal la régulation de la dysménorrhée.
Selon les groupes, entre 43 et 46% ont rapporté avoir annulé un entrainement en raison des menstruations ou de la prise de contraceptifs hormonaux, et 11 à 16% ont déjà dû s’abstenir d’une compétition pour les mêmes raisons.

Discussion

Cette étude est l’une dans plus grande rapportant la relation entre cycle menstruel, contraception et performance physique. Dans l’ensemble, les athlètes de tous niveaux rapportent des impacts négatifs sur leurs différentes performances physiques et mentales, avec en majorité des dysménorrhées et la présente d’un SPM. Il en va de même pour les sportives utilisant une contraception hormonale, qui représentent 63% de toutes les athlètes.

Environ 10% des athlètes rapportent une aménorrhée secondaire et 6% une oligoménorrhée (cycle menstruel supérieur à 35 jours), ce qui est en accord avec de précédentes études qui ont montré une prévalence importante de ces deux problématiques chez les sportives de haut niveau, potentiellement en lien avec une carence énergétique relative et un entrainement intensif.

Bien que 74% des athlètes aient rapporté des douleurs liées à leurs menstruations, seulement un tiers se sont abstenues d’entrainement. De précédentes études ont trouvé des pourcentages encore plus faibles d’abstention chez les sportives, ce qui peut être expliqué par le fait que la majorité d’entre elles ne considèrent pas leurs symptômes comme suffisamment gênants pour annuler un entrainement, et sont parfois réticentes à discuter de leurs symptômes avec leur coach.

Pour réduire la sévérité des symptômes, les athlètes avaient recours à des anti-inflammatoires non-stéroïdiens et des antidouleurs, dont la majorité étaient pris en automédication sans ordonnance (65%). La prise de contraceptifs oraux était aussi utilisée comme traitement de la dysménorrhée, mais les résultats de cette étude montrent que la plupart des athlètes n’ont pas un traitement adéquat et continuent de ressentir des effets secondaires. D’autres études devraient être faites pour comprendre l’impact des différents traitements sur les performances à l’entrainement et en compétition.

Les sportives touchées par le SPM ont expérimenté de nombreux symptômes en fin de phase lutéale ayant souvent un impact négatif sur leurs performances physiques. Cependant une précédente méta-analyse a conclu que les performances n’étaient que très légèrement diminuées en phase lutéale comparée aux autres phases du cycle menstruel. Il semblerait donc que le cycle menstruel lui-même n’ait pas un impact direct sur les performances physiques ; ce seraient les symptômes en rapport avec le cycle (SPM, dysménorrhée, altération de la qualité de sommeil…) qui seraient à l’origine de la diminution de performance perçue par les athlètes.

Concernant les différents types de contraceptions, cette étude est en accord avec une étude de Engseth et al rapportant une proportion similaire de contraception à la progestine et de contraception combinée, avec une légère prédominance pour la progestine. En revanche, deux autres études plus anciennes (2018 et 2020) avaient rapporté une prédominance de la contraception hormonale mixte. Cette différence pourrait s’expliquer par l’augmentation de l’utilisation de contraceptifs réversibles à action prolongée (DIU, implants) dans les pays nordiques depuis quelques années. Malgré cela, la prise de contraceptifs oraux combinés reste la méthode de contraception la plus courante.

Les contraceptions hormonales sont prises pour diverses raisons, notamment une régulation du cycle, et entrainent donc une diminution des dysménorrhées. Cependant, de nombreuses athlètes (47%) enchaîne les contraceptifs oraux en sautant les jours où la pilule ne doit pas être prise afin d’éviter les saignements liés aux menstruations. Cela permettrait surtout de diminuer les effets secondaires des menstruations qui sont ressentis par 40% d’entre elles et qui ont tendance à altérer la performance.

Enfin, la proportion d’athlète utilisant une contraception hormonale était inférieure dans le groupe élite comparé aux autres groupes (55% vs 67% dans le groupe sous-élite). Cela pourrait être expliqué par le manque d’évidences concernant l’impact des contraceptifs hormonaux sur la performance et la potentielle prise de poids qui peut en découler. Bien qu’il n’y ait à ce jour aucune preuve que la pilule entraine une prise de masse corporelle, elle a été rapportée par 20% des utilisatrices dans cette étude.

Conclusion

Toutes les données récoltées par cette étude montrent que les symptômes liés aux menstruations sont fréquents chez les athlètes de tous niveaux et ont souvent un impact négatif sur leurs performances. Cependant, seulement une très faible partie d’entre elles planifient leurs entrainements et compétitions en fonction de leur cycle menstruel et de leurs symptômes. La dysménorrhée et le syndrome prémenstruel sont les plus courants de ces symptômes et sont perçus avec un effet négatif sur la performance aérobie, la force musculaire, la vivacité d’esprit, l’équilibre et/ou la qualité de sommeil. La contraception hormonale était souvent prise pour palier à ces effets secondaires et seulement la phase de « non-prise » des contraceptifs oraux a eu un impact négatif sur la performance.
Enfin, les résultats sur les 1086 athlètes ayant répondu au questionnaire suggèrent qu’il faudrait s’intéresser d’avantage aux différents traitements de ces symptômes dans l’objectif de diminuer leurs effets la performance physique et la forme mentale.

Référence article

Ekenros L, von Rosen P, Solli GS, Sandbakk Ø, Holmberg HC, Hirschberg AL, Fridén C. Perceived impact of the menstrual cycle and hormonal contraceptives on physical exercise and performance in 1,086 athletes from 57 sports. Front Physiol. 2022 Aug 30;13:954760. doi: 10.3389/fphys.2022.954760. PMID: 36111164; PMCID: PMC9468598.
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