L’utilisation de contraceptifs hormonaux combinés ne protègent pas contre les troubles musculo-squelettiques ou les blessures : une étude systématique portant sur les données de 5 millions de femmes

Sep 28 / MÉDIAMPHI - ⏱️ 6min
Les affections musculo-squelettiques réduisent la fonction physique, altèrent la qualité de vie et sont une cause importante d'incapacité physique, compromettant la santé mentale et augmentant le risque d'autres affections chroniques. Le fardeau que représentent les affections musculo-squelettiques tout au long de la vie est plus important chez les femmes que chez les hommes. Les filles et les femmes courent également un plus grand risque de blessures aux muscles liées à la pratique d’un sport ou d’un loisir. Par exemple, les femmes ont jusqu’à 5 fois plus de risque de subir une lésion des ligaments du genou que les hommes pratiquant le même sport.

L’un des facteurs biologiques qui contribuerait à l’augmentation de l’incidence des affections musculo-squelettiques chez les femmes est leur état menstruel. Cela a conduit certains à suggérer que les contraceptifs hormonaux combinés (CHC - Combined Hormonal Contraceptives) pourraient être utilisés pour « contrôler » ou « stabiliser » le cycle menstruel afin de réduire le fardeau des affections musculo-squelettiques. Malheureusement, la plupart des recherches sur les utilisations non contraceptives des CHC sont basées sur des études génératrices d’hypothèses, et non sur des études de vérifications d’hypothèses. En revanche, l’utilisation de CHC a un impact négatif sur le cycle ovulatoire, le pic de masse osseuse et est associée à des réductions de la densité minérale osseuse, précurseur de l’ostéoporose et des comorbidités associées.
Avis du pôle scientifique Médiamphi
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Cette revue systématique critique est un article à risque de biais modéré. La majorité des critères méthodologiques majeurs sont respectés. Cependant, la majorité des études incluses sont de faible qualité méthodologique. Les résultats sont donc à prendre avec précautions car ils peuvent être sur ou sous-estimés et ne pas refléter la réalité.
Étant donné qu’environ 50% des jeunes femmes commencent à utiliser des CHC pour des raisons non contraceptives, c’est-à-dire pour contrôler l’irrégularité du cycle menstruel, les crampes menstruelles, l’acné et d’autres raisons, il est essentiel que ces décisions soient guidées par des données probantes. L’objectif de cette revue systématique était d’évaluer l’association entre l’utilisation de CHC et la pathophysiologie, les blessures et les conditions des tissus musculo-squelettiques sur la base d’une évaluation critique des études existantes. Étant donné que l'adolescence est une période clé du cycle de vie pour l'accumulation de tissus musculo-squelettiques, et que les effets des CHC peuvent être propres à certains groupes d'âge, un objectif secondaire était d'examiner l'utilisation de la CHC chez les adolescentes (≤18 ans) ou les adultes (>18 ans).

Méthodes

 Sources de données et recherche

Les études ont été identifiées en consultant cinq bases de données. Les recherches ont été effectuées le 28 Décembre 2020 et mises à jour le 27 Avril 2022. Les stratégies de recherche consistaient en des rubriques médicales et des mots clés liés à la CHC, au concept des tissus musculo-squelettiques, aux blessures ou aux conditions avec des limitations pour les participants humains et à la langue française. Les directives PRISMA ont guidé la rédaction de cette étude. Les études incluses ont fait l’objet d’une recherche manuelle afin d’identifier d’autres enregistrements pertinents. 

 Éligibilité

Nous avons inclus les études qui rapportaient des données primaires provenant d'humains et qui évaluaient l'association entre l'utilisation de CHC par des femmes post-pubères et pré-ménopausées ayant un statut menstruel normal et la pathophysiologie, les blessures ou les conditions des tissus musculo-squelettiques. 
  • L’utilisation de CHC a été définie comme l’utilisation nouvelle ou continue d’une dose pharmacologique d'éthinylestradiol synthétique (EE) en association avec un progestatif sous forme de pilule, de patch ou d'anneau vaginal.
  • La physiopathologie a été définie comme des processus physiologiques désordonnés, et une condition (comme une maladie ou une lésion) qui affecte négativement la structure ou la fonction d’un tissu. 
Nous avons exclu les études dont les participantes souffraient d’une affection ou suivaient un traitement susceptible d’affecter les niveaux d’hormones reproductives et qui évaluaient uniquement les résultats relatifs à la performance de l’appareil locomoteur. Les études dont les participantes prenaient uniquement des œstrogènes, uniquement des progestatifs ou celles qui avaient des dispositifs intra-utérins ont également été exclues. 

Résultats

Sur les 5438 enregistrements potentiels identifiés à partir des recherches dans les bases de données, 50 ont été inclus (Figure 1) incorporant les données de 5 695 908 participantes issues de 48 cohortes différentes.

Trois études étaient des essais cliniques randomisés (ECR), 14 étaient des études quasi-expérimentales, 25 étaient des cohortes prospectives et 8 étaient des études de cohortes rétrospectives.

 Effet de l’utilisation des CHC sur l’état de santé des patientes

Les résultats des analyses semi-quantitatives des résultats évalués dans trois études ou plus sont résumés dans le Tableau 1.

Les évaluations GRADE modifiées ont été systématiquement revues à la baisse en ce qui concerne les risques de biais.

Les preuves pour deux résultats (arthroplastie totale du genou et toute fracture) ont été jugées peu sûres
, tandis que les preuves pour tous les autres résultats ont été jugées très peu sûres.

 L’effet de l’utilisation des CHC chez les adolescentes

La synthèse semi-quantitative indique qu’il existe des preuves très faibles d’une association peu claire entre l’utilisation des CHC et la densité minérale osseuse du rachis lombaire et du col du fémur.  

Discussion

 Objectif principal

Sur les 50 études et les 32 résultats uniques inclus dans cette analyse, la majorité étaient liés à la structure osseuse ou à la physiologie osseuse. Malgré cette large base de données, beaucoup de choses ne sont pas claires. Bien qu'il existe des preuves que l'utilisation passée des CHC est associée à un risque futur de fractures plus élevé, quel que soit le site, ces preuves ont été jugées de faible certitude, ce qui suggère que l'estimation de l'effet est susceptible d'être modifiée par les recherches futures. De même, il n'existe que des preuves de certitude très faible de relations peu claires ou absentes entre l'utilisation de CHC et la plupart des autres résultats liés aux os.

Un résultat important de cette revue est le manque de preuves évaluant l’utilisation de CHC et les résultats liés aux tendons, ligaments, muscles… ce qui est une information fondamentale nécessaire avant d’encourager l’utilisation de CHC pour la prévention des blessures. Ceci est en contraste direct avec les revues précédentes qui suggèrent que l’utilisation de CHC peut diminuer le risque de laxité et de rupture du LCA.

Il existe d’importantes différences méthodologiques entre l’étude actuelle et les études antérieures, qui peuvent expliquer la divergence des résultats. En particulier, les conclusions des revues antérieures sont basées sur l’interprétation sélective de séries de cas et d’études cas-témoins, et n’ont pas évalué la certitude de preuves (c’est-à-dire GRADE) ou n’ont pas suivi les meilleures pratiques pour résumer l’ensemble des preuves pour chaque résultat et indiquer dans quelle mesure les résultats sont susceptibles d’être modifiés par des recherches futures. Bien que ces modèles de séries de cas et d’études de cas-témoins soient importants pour générer des hypothèses, ils sont dépourvus de contrôles strictes qui les rendent sujet à des biais et à des confusions qui requièrent une interprétation prudente de leurs résultats.

Pour souligner ce point, Herzog et al (2020) ont mené une étude de cohorte sur près de 3 millions de femmes et une analyse cas-témoins imbriquée. L'étude de cohorte n'a démontré aucune différence dans le risque de rupture du LCA entre les nouvelles utilisatrices de CHC et les non-utilisatrices de CHC, tandis que les analyses cas-témoins ont identifié que les participantes ayant utilisé la CHC à tout moment au cours des 5 dernières années avaient un risque plus faible de rupture du LCA. Cette divergence montre que les analyses cas-témoins peuvent être influencées par des biais, notamment des biais de sélection.

 Objectif secondaire

L’un des objectifs secondaires de cette étude était d’examiner les effets différentiels de l’utilisation des CHC sur les résultats au niveau de la colonne vertébrale, stratifiés en fonction de l’utilisation à l’adolescence (≤18ans) ou à l’âge adulte (>18ans).

Bien que spéculative, notre constatation d’un risque élevé d’ostéoporose à l’adolescence a été confirmée par les résultats de l’étude. Les fractures futures chez les utilisatrices de CHC pourraient être liées à une mauvaise accumulation de la densité minérale osseuse à l’adolescence. Malheureusement, 88% des études incluses dans cette revue avaient des participantes allant de l’adolescence à l’âge adulte et ne fournissaient pas de résultats stratifiés, ce qui nous a empêché d’explorer pleinement la différence d’effet des CHC entre ces deux stades de vie.

 Implications cliniques

Actuellement, il n’y a pas suffisamment de preuves pour recommander l’utilisation de la CHC pour protéger la santé de l’appareil locomoteur, y compris la prévention des lésions du ligament croisé antérieur (ACL). En revanche, l’utilisation de CHC pourrait augmenter le risque de fractures futures et d’arthroplastie totale du genou

Conclusion

Étant donné le manque de preuves de haute certitude sur l'utilisation des CHC qui protègeraient contre la pathophysiologie, les lésions ou les affections de l'appareil locomoteur, il est prématuré et inapproprié de préconiser ou de prescrire les CHC à ces fins.

Référence article

White L, Losciale JM, Squier K, Guy S, Scott A, Prior JC, Whittaker JL. Combined hormonal contraceptive use is not protective against musculoskeletal conditions or injuries: a systematic review with data from 5 million females. Br J Sports Med. 2023 May 24:bjsports-2022-106519. doi: 10.1136/bjsports-2022-106519. Epub ahead of print. PMID: 37225254.