Activité cérébrale associée au déficit de force du quadriceps après reconstruction du ligament croisé antérieur

Nov 23 / MÉDIAMPHI - ⏱️ 9min

Introduction

La rupture du ligament croisé antérieur (LCA) est une blessure fréquente, chez les athlètes et les personnes actives, qui résulte généralement d'une force de torsion ou de rotation excessive du genou lors d'un pivotement ou d'un changement de direction. De nombreux patients souffrant de lésions du LCA, et en particulier les athlètes qui souhaitent reprendre le sport, subissent une reconstruction chirurgicale (LCA-R) pour restaurer la stabilité mécanique du genou. Malgré l'intervention chirurgicale et une rééducation complète, 14 à 23% des patients présentent une faiblesse musculaire persistante du quadriceps lorsqu'ils reprennent le sport, ce qui peut entrainer des boiteries, un risque accru de nouvelle blessure ou encore le développement d’une arthrose post-traumatique.
Avis du pôle scientifique Médiamphi
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Certains critères méthodologiques de cette étude de cohorte sont susceptibles d’avoir introduit des biais. En particulier, les caractéristiques de base des différents groupes de participants ne sont pas comparées. La procédure d’assignation des contrôles n’est pas décrite. Aussi la dominance n’est pas prise en compte dans les analyses.
De nombreuses études ont avancé l'hypothèse d'une contribution neurologique à la faiblesse musculaire, qui peut résulter d'une perturbation de l'un des composants du système neuromusculaire, comme le contrôle volontaire des muscles, le recrutement des unités motrices, la synergie musculaire ou encore les réflexes spinaux. Les résultats de plusieurs études suggèrent qu'après une lésion du LCA, le système neuromusculaire peut être compromis à différents niveaux du système nerveux. L'utilisation de la stimulation magnétique transcrânienne a permis de comprendre les changements des circuits intra corticaux inhibiteurs et excitateurs dans le cortex moteur des patients souffrant d’une rupture du LCA. Ces mesures semblent être liées à la force après un LCA-R ; des niveaux plus élevés d'inhibition intra corticale sont associés à une réduction de l'activation volontaire et de la force du quadriceps.

L'examen transversal des patients atteints de LCA-R par rapport à des adultes en bonne santé a indiqué une réorganisation corticale et cérébelleuse généralisée (sur les zones sensorimotrices primaires et secondaires, le cervelet et le gyrus lingual) pour le mouvement du genou. Cependant, les conclusions tirées de ces comparaisons se sont limitées aux différences entre les groupes, et on ne sait toujours pas si ces observations neurologiques sont liées aux mesures cliniques de la force du quadriceps. L’objectif primaire de cette étude est donc de déterminer si l'activité cérébrale régionale pendant une tâche volontaire de genou dominée par le quadriceps et les mesures cliniques de l'asymétrie de force sont liées chez les personnes souffrant d'une lésion du LCA. L’objectif secondaire est de comparer l'activité cérébrale dans les régions liées à l'asymétrie de la force chez les patients ayant subi une rupture du ligament croisé antérieur, qui répondaient ou non aux recommandations cliniques, et chez les adultes en bonne santé.

Méthode

Cette étude est une analyse de données secondaires d'une étude antérieure publiée sur la même cohorte, qui a examiné l'activité cérébrale des mêmes zones d'intérêt sélectionnées en relation avec les résultats rapportés par les patients. L’étude a été menée sur deux sites différents (Ohio State University et University of Connecticut) afin d’augmenter la taille de l’échantillon. La méthodologie et les paramètres d’imagerie étaient similaires à ceux de la première étude.

 Participants

Les participants étaient âgés de 16 à 35 ans et présentaient une rupture unilatérale du LCA. Les critères d'exclusion étaient les suivants : antécédents de lésions du genou (par exemple, lésions méniscales, déchirures ligamentaires, fractures), commotion cérébrale ou traumatisme crânien au cours des six derniers mois, troubles neurologiques, migraines, prise de médicaments actifs sur le plan neurologique et clips métalliques intracrâniens. Au total, 22 patients ayant subis une LCA-R ont été recrutés (8 hommes et 14 femmes). La dominance du membre inférieur a été déterminée par la jambe avec laquelle les participants préféraient taper dans un ballon. 22 sujets contrôles sains (8 hommes, 14 femmes) ont été recrutés pour réaliser une comparaison. Tous les participants étaient actifs et pratiquaient ou avaient pratiqué un sport (football, arts martiaux, hockey, basketball). 

 Évaluation isocinétique du quadriceps 

La force des quadriceps a été évaluée par les contractions maximales volontaires isocinétiques (MVC). Les participants étaient installés sur un dynamomètre isocinétique, avec les hanches et genoux fléchis à 90° et maintenus à l’aide de sangles. Pendant le test, les participants ont reçu l'instruction de croiser les bras sur la poitrine. Ils ont effectué trois essais d’échauffement suivis de trois MVC isocinétique, avec un retour d’information verbal et visuel pour encourager un effort maximal. La moyenne du couple maximal produit au cours des trois essais a été calculée pour l'analyse. Les mesures de la faiblesse musculaire relative ont été calculées à l'aide de l'indice de symétrie du quadriceps (Q-LSI), qui correspond au rapport entre le couple maximal du membre lésé et celui du membre non lésé. Le membre "impliqué" pour le groupe contrôle était le même membre que celui du participant correspondant dans le groupe LCA-R. Un Q-LSI < 90% (soit une différence de force entre les deux quadriceps supérieure à 10%) a été défini comme significatif d’une faiblesse musculaire, et les participants du groupe LCA-R ont été répartis en deux catégories en se basant sur cet indicateur : ceux présentant une faiblesse musculaire et ceux ayant atteint les recommandations scientifiques (Q-LSI > 90%).

 Recueil de données par IRM

Avant chaque tâche motrice d'IRMf, les participants ont été invités à s'allonger sur le dos pendant qu'une image anatomique tridimensionnelle à haute résolution pondérée en T1 était recueillie pour l'enregistrement anatomique. Au cours de l’analyse fonctionnelle, les participants ont effectué quatre blocs d'extension-flexion unilatérale du genou à 45° pour le membre impliqué chez les patients souffrant du LCA et pour le côté correspondant chez les sujets sains. Chaque participant a été équipé d'un casque compatible avec l'IRM, qui a été utilisé pour fournir un retour auditif afin de rythmer l'exécution de chaque extension ou flexion du genou via un métronome auditif à 1,2 Hz. Les participants se sont entraînés à la tâche motrice de l'IRMf, ont reçu des instructions sur la manière d'exécuter la tâche au cours d'une séance d'entraînement utilisant une IRM fictive, puis se sont à nouveau entraînés à la synchronisation du mouvement juste avant l'exécution fonctionnelle dans le scanner. 

 Génération des régions d’intérêt et relation entre activité neuronale et Q-LSI

Pour compléter les travaux antérieurs qui ont réalisé des analyses du cerveau entier, l’approche de cette étude est d’analyser les régions d’intérêt (ROI), ce qui permet d’élargir la taille de l’échantillon puisque les personnes souffrant de LCA-R du côté gauche ou du côté droit peuvent être incluses (contrairement à une évaluation du cerveau en entier où l'analyse des corrélats neuronaux serait perturbée par le côté en mouvement et les effets uniques de latéralité). Les ROI ont été sélectionnées parmi les régions du réseau sensorimoteur, ce qui incluait les cortex moteur primaire, somatosensoriel primaire, prémoteur et somatosensoriel secondaire, ainsi que le cervelet. Le gyrus lingual a également été sélectionné comme une ROI car des études antérieures ont montré des niveaux d’activation supérieurs du gyrus lingual chez les sujets après LCA-R comparé à des sujets sains. Enfin, le cortex pariétal a aussi été inclut dans l’analyse car il joue un rôle majeur dans le traitement de l’information sensorielle pour le contrôle moteur. 

Résultats

 Corrélation entre activité neurale et Q-LSI chez les patients avec LCA-R 

Une relation inverse a été trouvée entre l’asymétrie de force (faiblesse musculaire) et l’activité du cortex prémoteur controlatéral, du gyrus lingual et du lobe pariétale supérieur controlatéral. Aucune des autres ROIs examinées n’a montré de corrélation avec le Q-LSI. 
 Activité neurale régionale entre LCA-R asymétrique, LCA-R symétrique et contrôle 
Les participants LCA-R avec un Q-LSI < 90% ont montré des niveaux supérieurs d’activation du gyrus lingual comparé à ceux avec une bonne symétrie de force entre les deux quadriceps et au groupe contrôle. Il n’y avait pas de différence entre le groupe LCA-R avec une bonne symétrie et le groupe contrôle. Il convient aussi de noter qu’une différence d’activation dans le cortex pariétal supérieur controlatéral (cPMC) a été trouvée entre le groupe LCA-R asymétrique et le groupe LCA-R symétrique, même si l’ampleur de l’effet était modérée. 

 Index de symétrie et données sur la force 

Les mesures du pic de force isocinétique du quadriceps ont été effectuées pour chaque groupe et ont été normalisées en fonction du poids des participants. Les moyennes de force du quadriceps pour le membre lésé entre les différents groupes ne présentaient pas de différences significatives et étaient de 1,96±0,56 Nm/Kg dans le groupe Q-LSI<90%, 2,21±0,52 Nm/Kg dans le groupe Q-LSI>90% et de 2,22±0,68 Nm/Kg dans le groupe contrôle. 

Discussion

 Contribution corticale à la fonction musculaire après une blessure 

Cramer et al ont démontré que l'activité neuronale au sein du cortex moteur et des régions environnantes présente une réponse proportionnelle à la force musculaire développée chez les adultes en bonne santé (plus de force exercée équivaut à plus d'activité neuronale). Compte tenu des conséquences neuromusculaires périphériques communes aux blessures, telles que la désafférentation articulaire ou l'inhibition réflexe, une réorganisation corticale est susceptible de se produire à la suite d'une rupture du LCA. Une série d'études récentes suggère que les propriétés des neurones se projetant vers le quadriceps (par exemple, des réductions de l'excitation corticospinale) sont en corrélation avec une faiblesse musculaire après un LCA-R. Dans la présente étude, des niveaux inférieurs de Q-LSI ont été associés à une plus grande activité neuronale dans le cortex prémoteur et le gyrus lingual, reflétant des demandes neuronales relativement plus importantes pour déclencher des contractions du quadriceps.

 Gyrus lingual et asymétrie de force 

Des études antérieures d’IRM fonctionnelle utilisant des mouvements similaires de flexion/extension du genou ont démontré une plus grande activité neuronale dans le gyrus lingual chez les personnes souffrant de LCA-R par rapport aux témoins sains appariés. Le niveau d’activité du gyrus lingual était encore plus élevé chez les patients avec un Q-LSI<90%. Plusieurs rapports ont également établi un lien entre l'activité du gyrus lingual chez les patients LCA-R et une plus grande demande neuronale pour le contrôle visuomoteur. La relation entre le gyrus lingual et la fonction est largement basée sur des études de neuro-imagerie antérieures qui ont suggéré que le gyrus lingual est impliqué dans l'attention visuelle et est un centre d'intégration de stimuli sensoriels multiples. Par conséquent, l'activité au sein du gyrus lingual peut être essentielle pour coordonner l'action musculaire par rapport aux indices proprioceptifs et visuels afin de restaurer la fonction. Les niveaux d'activité du gyrus lingual peuvent également varier en fonction de la nouveauté et de la difficulté de la performance motrice. Ainsi, pendant la période de rééducation, les patients présentant une asymétrie de force persistante peuvent développer des stratégies motrices qui renforcent l'intégration visuomotrice afin de maintenir la coordination et l'équilibre en raison d'une force inadéquate du quadriceps. Cependant, il est important de noter que cette étude n'a pas explicitement testé l'intégration visuomotrice et que, par conséquent, la fonction exacte du gyrus lingual dans le contexte des mouvements des membres inférieurs ainsi que de l'asymétrie musculaire doit encore être élucidée.

 Cortex prémoteur et asymétrie de force 

Cette étude a identifié l'activité corticale au sein du PMC controlatéral comme étant liée à l'asymétrie de la force chez les individus ayant des antécédents de LCA-R. Le PMC reçoit des entrées directes du cortex préfrontal dorsolatéral et du cortex pariétal, et se projette vers le cortex moteur primaire (M1) pour permettre l'exécution motrice. Il joue également un rôle actif lors de la réorganisation du M1 après une lésion centrale. Bien que le LCA-R ne soit pas une lésion centrale, les perturbations de l'information afférente secondaire à la distension de la capsule articulaire, à la rupture du ligament et aux changements compensatoires de l'intégration sensorimotrice du genou affecté peuvent entraîner un phénomène similaire, à moindre degré. Si l'on considère que les neurones de M1 présentent des niveaux plus élevés d'inhibition intra corticale et des réductions de l'excitabilité après une lésion du LCA, l'augmentation du recrutement du PMC peut compenser le déficit d'excitabilité de M1. Une plus grande activité du PMC a également été observée chez les non-athlètes ou les "novices" par rapport aux athlètes pour le contrôle des mouvements volontaires. 

 Cortex pariétal supérieur controlatéral et asymétrie de force 

La corrélation entre le cortex pariétal supérieur controlatéral et l'asymétrie de la force du quadriceps peut indiquer une compensation sensorielle potentielle pour préserver la fonction. Le cortex pariétal postérieur encode de multiples paramètres, y compris la direction du mouvement, la position, l'amplitude, la vitesse et l'accélération liées au maintien du contrôle sensorimoteur. Une étude transversale antérieure a identifié une activité neuronale accrue au sein du cortex pariétal supérieur controlatéral chez les individus après une lésion du LCA par rapport aux témoins sains. Dans leur rapport, l'activité du SPL s'est avérée être fonctionnellement connectée à l'activité motrice frontale primaire pour la coordination des membres inférieurs dans la cohorte LCA-R. Par conséquent, l'activité accrue du SPL chez les individus présentant des niveaux plus élevés d'asymétrie de force peut être liée aux exigences du traitement sensoriel en cascade via la connectivité frontale-pariétale, dans l’objectif de compenser le manque de force.

 Implications cliniques 

Cette étude a révélé que les personnes ayant subi une rééducation du LCA et présentant une asymétrie de force sous-jacente présentent des niveaux d'activité cérébrale plus élevés dans les régions responsables de l'intégration visuo-spatiale et de la planification motrice. Les stratégies actuelles de rééducation après LCA-R peuvent ne pas tenir compte des adaptations centrales qui sous-tendent l'asymétrie de la force. Des stratégies telles que la cryothérapie et la NMES, qui visent à restaurer l'entraînement neuronal du muscle en augmentant le trafic afférent, peuvent atténuer les pertes de force secondaires aux adaptations du système nerveux central. L'utilisation de principes d'apprentissage moteur et d'instructions, qui peuvent moduler l'attention d'un individu pendant l'acquisition de compétences, peut atténuer les conséquences neurophysiologiques des blessures, bien que des études supplémentaires soient nécessaires.

Conclusion

Cette étude est la première à suggérer un lien entre l’asymétrie clinique de force et l’activité cérébrale après une reconstruction du ligament croisé antérieur. Les participants LCA-R avec une plus grande asymétrie de force du quadriceps présentaient des activations corticales supérieures pour une même tâche de motricité du genou. Cependant, les participants LCA-R ayant atteints un Q-LSI>90% ne présentaient aucune différence d’activation corticale comparé au groupe témoin. 

Référence article

Criss, C.R., Lepley, A.S., Onate, J.A. et al. Brain activity associated with quadriceps strength deficits after anterior cruciate ligament reconstruction. Sci Rep 13, 8043 (2023). https://doi.org/10.1038/s41598-023-34260-2